Après les propos virulents du Chef de l’Etat Tunisie, la Guinée a réussi à faire rapatrier ses ressortissants ayant fui les agressions dans ce pays. Une mission réussie par son chef de la diplomatie qui s’est rendu au chevet de ses compatriotes. Dans une interview exclusive qu’il a accordée à la rédaction de Mosaiqueguinee.com, Dr Morissanda Kouyaté revient sur les dessous du retour à Conakry de ces Guinéens. Dans cet entretien, le Ministre des affaires étrangères, de l’intégration africaine et des Guinéens établis à l’Etranger révèle que c’est à moins d’un quart d’heure qu’il a été informé que le Président de la Transition se rendait en personne à l’aéroport pour accueillir les premiers Guinéens. Le Patron de la diplomatie guinéenne informe que l’avion devant transporter le troisième groupe de Guinéens a quitté Conakry ce lundi. Dr Morissanda Kouyaté répond aux questions de Mohamed Bangoura.
Bonjour Dr Morissanda Kouyaté. Vous rentrez d’une mission en Tunisie où vous avez réussi à donner l’exemple en rapatriant sur Conakry les Guinéens qui ont souhaité regagner le bercail. Quel est aujourd’hui le sentiment qui vous anime après avoir accompli une telle mission de haute portée ?
Je voulais d’abord remercier la presse en général, pour l’accompagnement parce qu’il s’agit de nos compatriotes qui sont à l’extérieur. Pour planter le décor, je dois dire que mes collaborateurs et moi sommes en train d’exécuter la politique du Président de la Transition, Chef de l’Etat. Quand il m’a nommé, il a été clair. Il m’a dit : « vous venez de l’extérieur, je viens de l’extérieur, vous savez comment vivent nos compatriotes à l’extérieur. Donc, concentrez-vous sur nos compatriotes à l’extérieur ». C’est ce que j’applique et je le rappelle tout le temps : un Guinéen à l’extérieur, c’est le peuple de Guinée. Ceci est notre credo, c’est la doctrine du Chef de l’Etat. Donc, dès qu’il y a problème sur un seul Guinéen, nous nous levons, le gouvernement se lève et le Président est toujours là pour nous appuyer, le Premier Ministre est toujours là pour appuyer le Ministère des affaires étrangères, de l’intégration africaine et des guinéens établis à l’étranger. C’est donc dans la suite logique de l’application des nouvelles instructions que le Chef de l’Etat a mises en place avec ce nouveau gouvernement, c’est ce qui m’a motivé.
Comment êtes-vous parvenu à organiser le retour de nos compatriotes en difficulté en Tunisie ?
D’abord, avant d’y aller, il y a eu un travail de fond. J’ai appelé les autorités tunisiennes, j’ai appelé mon homologue le ministre des affaires étrangères que j’avais déjà rencontré à Addis-Abeba et puis nous avons échangé: je lui ai dit que nous avions l’intention d’aller chercher nos compatriotes. Au contraire, il a été très compréhensif, il a facilité les choses. Nous sommes arrivés, nous étions le premier pays à être là-bas, les gens étaient même surpris de nous voir sitôt. Dès que j’ai eu l’accord de mon homologue tunisien, j’ai fait part au chef de l’Etat et au premier ministre, nous avons commencé à travailler avec notre représentation diplomatique en Tunisie mais qui est en réalité notre ambassade à Alger, qui s’est donc délocalisée pour venir à Tunis travailler avec toute l’équipe là-bas. Ce que nous avons fait, c’est de recenser tous les Guinéens, sans exception. Parce que, notre politique c’est que la catégorisation doit être faite sur la base de la pratique de ce qui existe, pas sur des bases irrationnelles. Et donc, nous avons donné un numéro de téléphone, nous avons donné un lieu de regroupement et nous avons appelé nos compatriotes. Ils sont venus même s’il faut reconnaitre que ce n’était pas facile parce que, pour arriver au point de regroupement indiqué, ils étaient menacés. Nous les avons donc suivis un par un jusqu’à ce que beaucoup se soient mis ensemble au consulat improvisé et puis, quand nous avons su qu’il y avait suffisamment de personnes (estimé à plus de 180, aujourd’hui nous allons jusqu’à 300 maintenant), nous avons affrété un vol spécial. C’était une occasion unique aussi de commencer à faire travailler notre avion qui est là. Le symbole pour nous était que des guinéens entrent dans un avion guinéen pour aller chercher des guinéens.
Quand vous êtes arrivés sur place, dans quelles conditions vous avez trouvé les Guinéens ?
Quand je suis arrivé en compagnie du Directeur général des guinéens établis à l’étranger et du conseiller en communication, nous sommes allés directement au consulat. Il y a des images poignantes qui ne sont pas sorties. Quand je suis arrivé, j’ai trouvé des guinéens entassés avec des bébés dans les mains, les gens avaient froid et n’avaient pas de couverture. Quand j’ai vu ça, j’ai fondu en larmes, je ne pouvais pas accepter cela. Et immédiatement, j’ai tenu un discours pour dire que l’Etat est là, le Président est là, votre pays et votre gouvernement sont là. Ils sont venus pour vous ramener à la maison. Et eux, et moi, nous avons tous pleuré. Il y a des images très fortes et poignantes. Ensuite, nous avons catégorisé avec eux. J’ai proposé que ce soit seulement des enfants d’abord, on ajoute à cela les malades. Après les femmes avec les enfants et les hommes avec les enfants et après maintenant les femmes et enfin les hommes. Ils se sont tous mis d’accord et nous avons commencé à prendre la liste. Nous avons procédé au recensement et ensuite, nous avons formé trois groupes. Mais, ça va maintenant aller jusqu’à 7 groupes parce que l’avion a une capacité de 50 places. Comme ils étaient d’accord sur ça, nous avons regroupé et, comme on ne peut pas sortir du pays sans papier, nous avons demandé à l’ambassade de délivrer des papiers pour tout le monde sans exception. Et puis, nous sommes allés nous coucher dans les environs de 2H du matin. A 7h encore, nous étions sur pied pour prendre maintenant ceux qui sont prioritaires. Nous avons donc constitué la première cohorte et sommes allés à l’aéroport. Mais ce n’était pas facile parce qu’il y en a aussi qui ne voulaient pas revenir et ils y en avaient qui s’étaient désister. Il y en a qui sont sortis directement de la prison et sont venus nous rencontrer mais heureusement, tout s’est très bien passé. Ceux qui sont restés là-bas, nous avons laissé à chacun, une enveloppe parce qu’à partir du moment où ils nous ont rencontrés, nous les avons pris en charge. Ceux qui sont montés dans l’avion, arrivés en l’air, nous avons commencé à donner, à eux aussi, leurs enveloppes. Dans l’avion, nous avons continué à les dorloter, à les rassurer et tout.
On a vu cette image avec le Président de la Transition où vous vous êtes serrés très fort dans les bras. Savez-vous dans l’avion qu’il devait se rendre à l’aéroport AST pour vous accueillir ?
Les gens pensaient que tout était servi sur un plateau d’argent, non. Moi je ne savais pas que le président devrait venir à l’aéroport. C’est quand nous sommes arrivés à coté de Conakry que j’ai allumé mon téléphone, j’avais l’internet et puis sur notre plateforme, j’ai vu un ministre qui avait écrit que le patron est à l’aéroport. On était à 10 minutes de l’atterrissage. J’étais surpris de le voir là. A la descente, nous avons gardé la même priorité. Quand j’ai vu le président venir accueillir nos compatriotes, et lui, et moi, on ne pouvait pas. Nous nous sommes jetés dans les bras. Nous étions tous émus de faire ce travail là pour nos compatriotes. Et donc, quand nous sommes arrivés, nous avons logé les Compatriotes dans un hôtel avec tous les services de commodités possibles. Le matin, ils ont été examinés, ceux qui voulaient rentrer chez eux sont rentrés et priorité a été mise directement sur le deuxième convoi qui est aussi rentré hier. Ce lundi, nous repartons chercher d’autres personnes parce que le président a dit que tant qu’il y aura un guinéen là-bas qui veut rentrer, il faut aller le chercher.
Quel est le message que vous avez transmis aux autorités tunisiennes ?
Lorsqu’on est ministre, chef de l’Etat, premier ministre ou quand on a un poste de responsabilité, notre rôle, c’est d’apaiser. Il y a eu beaucoup d’actes de violence, bien sûr que c’est à la suite d’un discours au plus haut niveau que tout a été déclenché, mais notre rôle, c’est d’apaiser. C’est pourquoi quand j’ai pris la parole à Conakry, j’ai dit que tous les Tunisiens sont les bienvenus en Guinée; ils seront chez eux aussi longtemps qu’ils respecteront les lois de notre pays. On peut tenir des discours, et après, ne plus être en mesure de contrôler les dégâts. La Guinée et la Tunisie entretiennent de très bonnes relations. J’ai été, certes, très choqué par l’état de nos compatriotes mais ce n’est pas la peine de revenir sur tout ça pour éviter de créer d’autres violences.
Est-ce que vous avez recensé tous nos compatriotes en difficultés en Tunisie ?
Aujourd’hui, nous n’avons pas recensé encore tous ceux qui veulent revenir. Les gens ne font que venir. Vous savez, il y a trois groupes là-bas. Il y a un premier qui est régulier, ils ont un visa, ils sont là-bas soit pour les études ou pour d’autres business. Il y a un second groupe qui est constitué de personnes qui sont là-bas dans le cadre du tourisme médical. Et il y a un troisième groupe constitué de personnes qui veulent passer par la Tunisie pour aller en Europe. Mais pour nous, ce sont tous des Guinéens. Ce n’est pas le moment de faire des distinctions. Je suis heureux aussi de voir que beaucoup de pays ont copié la Guinée, c’est cela la Guinée. En réalité, la Guinée est le premier pays francophone au sud du Sahara à être indépendant, nous tenions ce rôle. Nous étions toujours devant pour donner de bons exemples. C’est ce rôle que le colonel Doumbouya essaie de reconquérir. Ce n’est pas facile mais avec la volonté que nous avons, nous y arriverons.
Un dernier mot !
Je l’ai dit et je le répète, la Guinée n’est pas n’importe quel pays. La Guinée, c’est le pays qui a montré le chemin de l’indépendance à l’Afrique. La Guinée, sur le plan politique, diplomatique et culturel, a toujours forgé son chemin pour se hisser à la première place. Et donc, ce que nous devons faire, c’est de maintenir cela surtout que nous sommes panafricains et panafricanistes. Pour la Guinée, chaque africain se trouve chez lui en Guinée. Nous devons travailler ensemble, faire face au reste du monde ensemble en tant que panafricain. L’appel que je lance aux guinéens, c’est de ne pas toucher aux tunisiens qui sont ici. Ils sont chez eux, ce sont nos frères, ce sont nos sœurs. Aussi longtemps qu’ils ne violeront pas nos lois ici, ils seront chez eux. Je lance aussi un appel aux autorités tunisiennes et ça a été fait, pour qu’elles prennent toutes les dispositions pour continuer à protéger nos compatriotes là-bas. A faciliter leur retour. Cela, mon homologue ministre m’a rassuré et ça a été traduit dans les faits. Il y a eu un incident. Pendant qu’on était en train de faire venir le deuxième convoi, il y a quelqu’un comme ça qui appelle pour dire qu’à l’aéroport personne ne sort, que c’est le ministère des affaires étrangères qui l’a interdit, mais c’était faux.
Interview réalisée par Mohamed Bangoura