Dans un entretien accordé à notre rédaction ce dimanche 2 juin 2024, le porte-parole du Conseil Supérieur de la Diaspora Forestière a passé au crible plusieurs sujets d’actualité.
Il s’agit entre autres de la fermeture des plus grands médias audiovisuels du pays, le déroulement du procès des événements tragiques du 28 septembre 2009, mais aussi les récentes déclarations du premier ministre guinéen.
Selon Pépé Moriba, les arguments brandis par le gouvernement en ce qui concerne le retrait des agréments et fréquences des médias, ne sont nullement solides. Pour lui, c’est plutôt le manque de transparence dans la gestion de la transition qui est à craindre.
Interview !
Mosaiqueguinee.com: Bonjour M. Pépé Moriba. L’actualité majeure en Guinée, c’est le retrait des agréments et fréquences de plusieurs médias entre le 21 et le 23 mai. Vous avez certainement appris la nouvelle. Dites-nous comment vous l’avez accueillie?
Pépé Moriba (Porte-parole CSDF): Bonjour Madame,
D’abord je voudrais vous remercier pour l’opportunité que vous donnez au Conseil Supérieur de la Diaspora Forestière (CSDF), à travers bien entendu ma personne en qualité de porte-parole, d’étaler notre lecture de la situation socio-politique et économique du pays d’une manière générale. Il faut rappeler que nous sommes une organisation de la société guinéenne qui a beaucoup contribué, de 2009, la date de création, à la promotion de la démocratie, de l’état de droit et aussi le développement socio-économique de notre pays. Dans ce rôle, il arrive souvent que nous prenions la parole pour non seulement faire notre lecture des différents événements qui interviennent dans notre société, mais aussi il arrive que nous prenons catégoriquement position; surtout quand nous constatons des violations des droits humains et toute pratique antidémocratique. C’est ainsi par exemple que nous avions été l’une des premières organisations de la société civile à alerter sur les velléités de confiscation du pouvoir de l’ancien Président, Pr. ALPHA CONDE et nous nous étions catégoriquement opposés contre non seulement la révision de la constitution, mais aussi contre le troisième mandat. Alors pour répondre à votre question, au CSDF, nous sommes plutôt inquiets de la tournure que prend cette transition d’une manière générale. Nous avons vu et même soutenu des militaires qui ont promis d’éviter les erreurs du passé, de lutter contre la corruption, l’enrichissement illicite, l’ethnocentrisme et de faire la promotion des bonnes pratiques démocratiques, ainsi que moraliser la gestion publique et un retour à l’ordre constitutionnel. Il faut préciser que toutes ces expressions ne viennent pas de moi, c’est plutôt d’eux, notamment le Président de la transition, Général Mamadi Doumbouya. C’est ce pourquoi nous avions pris acte de la prise du pouvoir par l’armée le 5 Septembre 2021 et avions soutenu d’aller dans une transition apaisée et réussie. Malheureusement à l’allure à laquelle les choses se déroulent, nous sommes inquiets. Pour nous, c’est incompréhensible de constater que rien de tout ce qui a été promis ne se fait après plus de 2 ans et qu’en revanche, nous assistons à l’élimination de ce que nous pensons être le plus grand acquis démocratique de l’histoire de notre pays, à savoir LA LIBERTÉ DE PRESSE ET D’EXPRESSION. C’est un droit de l’homme fondamental pour lequel il y a eu assez de lutte et sacrifices en Guinée. Je pense que c’est le seul acquis démocratique que nous avons pu maintenir et entretenir depuis près de 20 ans maintenant. C’est-à-dire que nous avons deux générations de Guinéens qui n’ont pas connues la période de pensée unique, la période des censures, bref: la dictature. C’est donc avec un climat de déception et d’inquiétude que nous avons appris le retrait des licences à Espace, à FIM et à DJOMA et nous profitons de cette occasion pour exprimer vigoureusement notre opposition à cette pratique d’une autre époque et mettons en garde le CNRD et son Président contre toutes velléités de musèlement de l’opinion publique et surtout de la confiscation de pouvoir qui semble être l’orientation que prend la transition.
Quelques jours après l’application de cette mesure, le gouvernement a tenté de justifier cet acte en accusant les patrons de presse de vouloir mettre en péril la quiétude sociale. Qu’est-ce que vous pensez de cette attitude du gouvernement de transition ?
À ce niveau il faut se demander de quelle quiétude parle-t-on ? Nous ne voyons aucune menace vis-à-vis de la quiétude sociale en Guinée, du moins pas à travers la presse. Ce qui est plutôt plausible, c’est le manque notoire de visibilité sur la transition. En un peu plus de deux ans, qu’est-ce qui s’est passé? Qu’en est-il des promesses? Est-ce qu’une seule personne a été jugée et condamnée pour corruption et/ou malversation financière ? Est-ce qu’un seul acte a été posé dans le sens du retour à l’ordre constitutionnel ? Est-ce qu’il y a une seule moralisation de la gestion publique ? La réponse est absolument non !
D’ailleurs, nous constatons avec regret que ceux qui se sont annoncés être des révolutionnaires le 5 septembre 2021 sont plutôt devenus des bourgeois au pouvoir. C’est des bracelets à plusieurs milliers de dollars, des voyages chers en jets privés, des voitures à grosses cylindrées, des maisons privées qui poussent ça et là comme des champignons, c’est des marchés de gré à gré et j’en passe. À mon avis, ce sont là des questions pour lesquelles nous avons besoin de la presse pour en parler et c’est malheureusement ce que le CNRD ne veut plus vraisemblablement. Nous pensons que c’est le seul justificatif honnête. Quand c’est comme cela, je pense que ça devient alors légitime de plutôt se questionner sur la raison même de cette transition. Je pense qu’à ce stade, la priorité doit être comment en sortir le plus rapidement possible car j’estime que les gens se sont mélangés les pédals.
Au même moment, le premier ministre Bah Oury déclare que le retour à l’odre constitutionnel n’est pas possible en 2024 alors que la junte est au pouvoir depuis bientôt 3 ans et elle peine à organiser les élections. Qu’en pensez-vous ?
En fait, tout ce qui se passe, constitue à mon avis les prémisses d’une dictature. On ne veut plus que quelqu’un parle de la fin de la transition. Il n’y a aucune volonté de ce régime de retourner à l’ordre constitutionnel. La seule volonté qui apparaît, c’est la confiscation du pouvoir et le musèlement de tous ceux qui pourraient éventuellement prononcer un mot contre cette volonté. Nous voyons déjà la tendance au Tchad, au Mali et au Niger. Sauf qu’il faut rappeler la Guinée est très différente de ces pays en proie au terrorisme. Mais je souhaiterais qu’on parle un peu plus du Premier Ministre, Mr Amadou Oury Bah. Ce n’est pas un inconnu. C’était lui le Président de la commission d’organisation de la manifestation au stade du 28 septembre en 2009. À ce que je sache, c’était pour la fin de la transition et imposer un retour immédiat à l’ordre constitutionnel. Mieux, Mr Bah est connu pour être un des membres fondateurs de l’Organisation Guinéenne des Droits de l’Homme (OGDH) au début de l’avènement de la démocratie en 1990. C’est donc un acteur connu pour sa lutte pour l’avènement de la démocratie et d’un État de droit en Guinée. Il est inconcevable à mes yeux que ce soit sous sa gouvernance que la presse soit muselée, pour installer ce qui pourrait être la dictature la plus violente de l’histoire de notre pays. C’est absolument un monde à l’envers et c’est incroyable !
Autre sujet à aborder avec vous, c’est l’affaire 28 septembre. Le procès tend vers la fin puisque la phase des plaidoiries a déjà débuté. Comment vous percevez le déroulement de ce procès et quelles sont vos attentes ?
Le Conseil Supérieur de la Diaspora Forestière (CSDF) suit avec une grande attention le procès du 28 septembre. Nous sommes profondément préoccupés par les dérives observées, en particulier envers Moussa Dadis Camara et les autres accusés originaires de la Guinée Forestière. L’absence du Général Sékouba Konaté, pourtant Ministre de la Défense à l’époque, remet en question l’impartialité du procès. L’incarcération de Moussa Dadis Camara dès son retour volontaire en Guinée, malgré sa volonté de se soumettre à la justice, n’a manifestement pas impressionné le tribunal. Nous déplorons que le ministère public, par son comportement jugé haineux et discriminatoire, souille l’image de notre nation et piétine nos valeurs religieuses. L’orientation des auditions visant principalement les cadres de la Guinée Forestière s’apparente à de l’acharnement, comme en témoigne le cas du Colonel Bienvenu Lamah, inculpé suite à la simple mention de son nom. Les disparités dans les réquisitions, notamment la réclusion criminelle à perpétuité pour Dadis Camara contre 15 ans pour M. Aboubacar Diakité, alias Toumba, soulèvent des questions sur l’équité du traitement des accusés.
Nos attentes sont claires : nous appelons à une justice équitable et impartiale, fondée uniquement sur les faits et le droit, dans le respect des principes d’équité. Un verdict biaisé risque d’engendrer des tensions profondes et durables, menaçant l’unité nationale. Nous espérons que les membres du tribunal rendront un jugement juste, garantissant ainsi la paix et la cohésion sociale en Guinée.
La Société Électricité de Guinée est confrontée à un déficit de production. Pour combler ce vide, le gouvernement de transition, a sollicité l’aide du Sénégal voisin. La ligne d’interconnexion de l’OMVG a été activée en vue de transférer 120 mégawatts depuis la société nationale d’électricité du Sénégal. Selon vous pourquoi la Guinée a du mal à régler elle-même son problème d’électricité ?
Non je pense que c’est plutôt une mauvaise manière de voir les choses. Je pense qu’il n’y a absolument rien de mal à prendre le courant chez nos voisins qui ont de l’excédent. C’est un faux nationalisme qui a été longtemps brandi, notamment sous le régime précédent, en disant qu’on nous avait apporté une indépendance énergétique. C’est un faux débat ! Dans le contexte mondial actuel de réchauffement climatique, avec les cours d’eaux qui tarissent, c’est suicidaire pour des nations comme les nôtre de miser essentiellement sur les barrages hydroélectriques qui sont essentiellement dans le contexte Guinéen, par là en Basse Côte. La vérité est que non seulement les barrages perdent leurs capacités de manière crescendo au fil des années, mais l’autre réalité est qu’il est énormément cher de transporter l’électricité à l’autre bout du pays. Je ne vais pas parler de nos installations vétustes. Je pense donc que ce n’est pas une mauvaise idée de prendre de l’électricité au Sénégal pour en fournir à nos compatriotes qui vivent dans ces zones frontalières. Mais je pense aussi qu’il faut plus de transparence. Aussi, nous devons continuer de produire de l’électricité puisque nous en avons l’opportunité et en vendre à notre tour, à nos voisins beaucoup plus proches de la Basse Côte où se trouvent les barrages les plus importants. Je pense que ces idées ont longtemps été proposées en Guinée, notamment par des leaders comme le Président de l’UFR, SIDYA TOURÉ. Si on les avait écouté à temps, on ne serait à nouveau là à en parler.
Nous allons également parler de la recrudescence des incendies en Guinée. Depuis l’explosion du dépôt d’hydrocarbures à Kaloum en décembre 2023, les incendies se sont accentués en Guinée. Beaucoup en sont victimes, mais les causes ne sont toujours pas connues. Quel est votre avis sur ce phénomène?
Je pense que c’est l’effet d’un Etat néant. C’est-à-dire que les gens ont arrêté de s’occuper de ce pourquoi ils sont au pouvoir, pour s’atteler à autre chose. La première raison d’existence d’un État, c’est sa capacité à assurer sa propre sécurité, ainsi que celle de ses citoyens. Mais il se passe énormément de choses qui relèvent du domaine de la sécurité qu’on se demande qu’est-ce ce que les gens font ! Ce qui se passe, avec des incendies ça et là, cela devrait mettre le gouvernement en branle pour connaître les causes. Est-ce que c’est des incendies de sources criminelles ou est-ce que c’est dû à la chaleur inédite que notre pays a expérimentée cette année? La vérité est qu’on pourrait jamais le savoir puisque ce ne semble pas la priorité de ce gouvernement. Mais justement parlant de la chaleur qui a sévit cette année en Guinée et dans toute la sous-région Ouest-africaine, je pense que les organisations de la société civile doivent se mettre à cheval de bataille pour la restauration de la végétation dans notre pays. Il faut organiser des campagnes de sensibilisation pour que chaque concession en Guinée ait au moins un arbre. De toutes les façons, nous au CSDF, nous allons proposer ce projet au prochain Bureau Exécutif qui sera bientôt élu.
Pour terminer avez-vous un message particulier ?
D’abord j’aimerais interpeller les responsables du CNRD et du gouvernement sur le respect des engagements volontaires du 5 septembre 2021. Notre organisation, le CSDF croit au fait que tout développement de la Guinée doit se faire dans le strict respect des valeurs démocratiques et de respect des droits humains. En conséquence, elle ne saurait soutenir une dictature.
Ensuite, je souhaiterais interpeller toutes les structures socioprofessionnelles de notre pays, de se mettre en alerte et de position clairement face à la violation de la liberté de presse que le gouvernement vient d’affliger à notre démocratie en construction depuis quelques décennies. Il faut qu’on sache que ceci est une étape importante pour le CNRD dans sa volonté désormais claire de confiscation du pouvoir et d’un retour à la dictature. Il faut donc s’organiser pour y faire face de manière efficiente comme nous l’avons fait contre le Président MOUSSA DADIS CAMARA en 2009 et contre le Pr. Alpha CONDE en 2020. Ça doit être une logique de la lutte entamée depuis le 22 janvier 2007.
Enfin, je voudrais adresser un message de soutien du CSDF à l’ensemble des victimes des différents incendies qui ont émaillé notre pays dernièrement d’une manière générale et à celles de Kaloum de manière spécifique, qui souffrent encore d’injustice.
Merci beaucoup Madame !
Je vous en prie !
Interview réalisée par Hadja Kadé Barry