L’article « Basse-guinée: guerre ouverte autour de la succession de feu Elhadj Sèkhouna Soumah » offre une analyse approfondie de la succession à la fonction de Kountigui de la Basse-Guinée, en mettant particulièrement l’accent sur la charte qui régit cette institution traditionnelle. Toutefois, certains éléments de cette charte soulèvent des questions importantes, notamment en ce qui concerne son application dans un contexte marqué par des tensions sociales et culturelles croissantes. Une analyse critique de ces points spécifiques permettra de mieux cerner les enjeux et les défis associés à la mise en œuvre de cette charte de succession du Kountigui, tout en éclairant les dynamiques sous-jacentes de cette guerre ouverte qui se déroule autour de l’héritage de feu Elhadj Sèkhouna Soumah.
- Légitimité et universalité de la charte :
La charte semble avoir été rédigée avec soin, après six mois de travail impliquant plusieurs représentants locaux. Elle formalise les règles de succession et les devoirs du Kountigui, ce qui est un pas important pour garantir la transparence. Cependant, bien que la charte soit approuvée par un bureau et ait une certaine légitimité, il n’est pas précisé si toutes les communautés locales l’ont validée unanimement. Dans une région aussi diversifiée que la Basse-Guinée, l’adhésion universelle des acteurs locaux est cruciale pour éviter des conflits. Par exemple, les divergences actuelles sur la succession indiquent qu’il pourrait y avoir des lacunes dans l’appropriation de cette charte.
- Critères de sélection :
Les critères définis à l’article 14 (intégrité morale, âge minimum, disponibilité, apolitisme, connaissance de l’histoire locale) semblent logiques et visent à préserver le prestige et la neutralité de cette fonction. Cependant, ces critères, bien qu’exhaustifs, peuvent être sujets à interprétation subjective. Par exemple : Comment évaluer objectivement l’intégrité morale ou la capacité de mobilisation ? L’exigence d’apolitisme est-elle réaliste dans un environnement où les influences politiques interfèrent souvent avec les décisions traditionnelles ? Ces critères pourraient être manipulés pour écarter certains candidats légitimes sous des prétextes flous.
- Le processus de désignation par consensus :
Le consensus, tel qu’indiqué à l’article 15, est un moyen idéal pour garantir l’acceptation collective du nouveau Kountigui. Cependant, en pratique, atteindre un consensus dans un contexte de tensions ethnoculturelles et géopolitiques est extrêmement difficile. Les rivalités entre préfectures (Forécariah, Kindia, Boffa, Fria) mentionnées dans l’article montrent que le consensus est loin d’être garanti, surtout si les factions n’ont pas un cadre clair pour négocier.
- Mandat à vie :
Un mandat à vie confère une stabilité et une continuité à l’institution. Toutefois, ce modèle pose problème si le titulaire devient invalide ou inefficace. Bien que l’article 18 prévoie des mécanismes pour révoquer un Kountigui en cas d’invalidité ou de violation des règles, la procédure semble vague. Il serait utile de préciser qui évalue ces situations et comment éviter des abus de pouvoir ou des conflits autour de ces décisions.
- Perte de qualité de Kountigui et vacance du pouvoir :
Les dispositions de l’article 20 pour combler rapidement une vacance de pouvoir sont pragmatiques. Cependant, la période de sept jours pour organiser la succession semble trop courte pour des consultations approfondies dans une région aux dynamiques complexes. Cela pourrait favoriser des nominations précipitées ou biaisées.
- Prévention des crises :
L’intention de la charte est de promouvoir la paix, l’harmonie et la quiétude sociale. Cependant, malgré ces intentions, l’article ne mentionne pas de mécanismes spécifiques pour résoudre les conflits liés à l’interprétation ou à l’application de la charte. Par exemple, une instance neutre d’arbitrage pourrait être intégrée pour prévenir les crises comme celles qui émergent actuellement.
- Apolitisme vs Réalité :
L’exigence d’apolitisme est louable, mais elle est souvent difficile à appliquer dans un contexte où les figures traditionnelles sont souvent courtisées par les élites politiques. Cela crée une tension entre le rôle du Kountigui comme leader communautaire neutre et les pressions extérieures qu’il subit.
Suggestions pour améliorer l’application de la charte :
Renforcement du consensus régional : Inclure davantage de consultations communautaires pour réaffirmer la légitimité de la charte dans les zones disputées.
Clarification des critères : Élaborer des définitions précises et des processus transparents pour évaluer les critères comme l’intégrité morale ou l’apolitisme.
Durée flexible pour la succession : Étendre la période de vacance à 30 jours au lieu de sept pour permettre des négociations et éviter les nominations forcées.
Mécanisme de résolution des conflits : Créer une structure indépendante pour arbitrer les différends liés à la succession ou à l’interprétation des articles.
Incontestablement, bien que la charte soit un document essentiel pour structurer le leadership traditionnel en Basse-Guinée, son application dans un contexte de tensions politiques et sociales nécessite une attention particulière pour éviter les divisions et maintenir la paix communautaire.
Lansana Camara