Non Dr Koureissy Condé, aucun article de la constitution guinéenne du 7 mai 2010, ne permet au président de la République et aux députés de prendre l’initiative d’adoption d’une nouvelle constitution.
Dans mon article du 17 mai 2019 encore disponible sur leguepard.net, intitulé : « GUINÉE : LA CONSTITUTION NE PERMET PAS AU PRÉSIDENT ALPHA CONDÉ DE PRENDRE L’INITIATIVE D’ADOPTION D’UNE NOUVELLE CONSTITUTION ! », j’avais soutenu, dispositions constitutionnelles à l’appui, que la constitution ne donne pas compétence au président de la République et aux députés de soumettre une nouvelle constitution au référendum. Cependant, lors de sa conférence de presse du jeudi 23 mai 2019, Dr Goureissy Condé avait affirmé le contraire avec les propos suivants : « Premièrement, le président de la République a effectivement le droit d’organiser le référendum et ceci est inattaquable. C’est la Constitution de mai 2010 qui en fait foi. Je ne dis pas que je supporte ou que je suis animateur d’une nouvelle Constitution. Deuxièmement, nous demandons la mise en place immédiate d’un organe consultatif, inclusif pour éviter les dérapages, les passions et dire aux Guinéens et Guinéennes que leurs représentants au niveau d’un organe représentatif, se sont rassemblés, ont étudié et ont adopté une nouvelle formule de Constitution dont voici le contenu ; ARENA (le parti de Dr Goureissy Condé) a des propositions à faire dans ce sens. (…). Troisièmement, c’est que nous sommes contre un troisième mandat ».
Il est évident que s’il y a deux propos différents sur le même fait, au moins, l’un des propos est mensonger. Les affirmations de Dr Goureissy Condé selon lesquelles le président Alpha Condé peut légalement prendre l’initiative de l’adoption d’une nouvelle constitution dépassent l’entendement et imposent les questions suivantes : de quelle constitution parle-t-il et sur quels articles fonde-t-il ses propos avec une telle assurance ? Quand on prend position sur une question juridique, le minimum exigé est qu’on donne la base légale de ses affirmations car, en la matière, c’est la constitution qui est la référence et non pas la position de telle ou telle personne. J’attendais de tels propos d’Alpha Condé, mais pas de Goureissy Condé ! Le seul but de cette prise de position est de donner un notre justificatif à la volonté belliqueuse et illégale d’Alpha Condé de faire adopter une nouvelle constitution lui permettant de rester au pouvoir à vie.
La stratégie de Dr Goureissy Condé est une nouvelle fois comme dans le passé, de nous détourner du fonctionnement normal des institutions conformément à la constitution qui tranche clairement cette question, pour nous entrainer dans le fonctionnement informel et illégal habituel des institutions appelées en Guinée « négociation politique », afin de nous réduire en proie facile pour Alpha Condé car dans une négociation informelle, c’est le plus fort qui finit par imposer sa volonté. Les négociations informelles de ces dernières années sur les élections et leurs néfastes conséquences sont des exemples édifiants. La négociation politique ne peut légalement porter sur une question régie par la constitution dont le respect s’impose à tous.
Le caractère étonnant des affirmations de Dr Goureissy Condé ancien membre du CNT qui avait élaboré l’actuelle constitution, résulte du fait que la constitution guinéenne ne prévoit que deux possibilités de recours au référendum pour le président de la République. Dans les deux cas de référendum, aucun ne permet au président et aux députés de prendre l’initiative de l’adoption d’une nouvelle constitution. Il s’agit d’une part de l’article 51 alinéa 1er relatif au référendum législatif qui ne prévoit que l’initiative de soumission d’un projet de loi au référendum et qui ne peut légalement porter ni sur la révision de la constitution ni sur l’adoption d’une nouvelle constitution. Il ne peut porter que sur des lois ordinaires qui doivent être directement adoptées par le peuple par voie référendaire. D’autre part, il s’agit du référendum constituant de l’article 152 dont l’alinéa 1er mentionne bien le terme « révision constitutionnelle », exclusivement prévu pour la révision et non pas pour l’adoption d’une nouvelle constitutionnelle et ne peut en aucun cas porter sur la soumission d’une nouvelle constitution au référendum. On peut constater que seule l’initiative de révision constitutionnelle est conférée au président de la république et aux députés par l’article 152 de la constitution qui ne fait aucune mention à une quelconque initiative d’adoption d’une nouvelle constitution.
En Guinée comme dans les autres États qui se disent démocratiques, les constitutions ne prévoient que des révisions constitutionnelles. C’est le cas de l’article 89 de la constitution française, l’article 118 de la constitution malienne, l’article 103 de la constitution sénégalaise et l’article 124 de la constitution ivoirienne entre autres. Si les constituants refusent de donner compétence aux présidents et aux députés de prendre l’initiative d’adoption d’une nouvelle constitution, c’est pour imposer sa stabilité et éviter que chaque président qui le souhaite, puisse adopter une nouvelle constitution dans son intérêt personnel comme ce que veut faire le président Alpha Condé.
De ce qui précède, on peut légitimement estimer que Dr Goureissy Condé n’a pas pris le risque de se fonder sur les articles 51 alinéa 1er et 152 de la constitution pour dire que le président de la République peut prendre l’initiative d’adoption d’une nouvelle constitution du fait qu’aucune disposition de ces articles n’en fait référence. Alors, quel est le fondement légal des affirmations de Dr Goureissy Condé qui sait bien qu’il ne peut remplacer les dispositions constitutionnelles par sa volonté ou sa position. En Guinée comme ailleurs, c’est la constitution qui est la référence normative et non pas la volonté, la position ou les intérêts de telle ou telle personne. L’un des drames guinéens est que quand une question de spécialiste se pose, c’est ceux qui en savent le moins qui en parlent le plus et le débat se trouve totalement pollué ! N’est pas juriste qui veut et la récitation mécanique des articles ne confère ni qualité ni compétence juridique.
Le problème pour les promoteurs déclarés et déguisés de la nouvelle constitution réside dans le fait que la constitution guinéenne prévoit bien la révision constitutionnelle en son article 152 et aucune éventuelle amélioration d’ordre économique et social de la constitution n’est juridiquement incompatible avec l’actuelle constitution. Mais, il se trouve que la révision ne peut porter sur ce qui intéresse Alpha Condé c’est-à-dire le nombre de mandat présidentiel limité à deux. Il ne peut atteindre son objectif qu’avec l’adoption d’une nouvelle constitution qui ne limiterait pas le nombre de mandat ou qui limiterait le nombre de mandat à deux mais, qui n’aurait pas d’effet rétroactif. De ce fait, avec la nouvelle constitution, les deux premiers mandats d’Alpha Condé ne seront pas pris en compte et il pourrait être candidat en 2020 et en 2025, ce qui lui permettrait de rester au pouvoir au moins jusqu’en 2030.
Dr Goureissy Condé utilise le même argument que les promoteurs du troisième mandat, c’est-à-dire « je suis contre le troisième mandat, mais, je suis pour la nouvelle constitution » ce qui, en réalité, permettrait à Alpha Condé de briguer un nouveau premier et deuxième mandat présidentiel.
Il est à noter que la révision constitutionnelle est une pratique courante du fait qu’elle est prévue par les constitutions elles-mêmes y compris celle de la Guinée. Cependant, l’adoption d’une nouvelle constitution à l’initiative du Président de la République n’étant pas prévue par les constitutions, elle ne peut intervenir que dans des rares cas tels que :
1- La naissance d’un nouvel État par accession à l’indépendance ou par démembrement d’un État, entrainant l’indépendance de certains peuples comme le cas de l’ex-URSS ;
2- Lorsque la révision de la constitution en vigueur ne peut résoudre le ou les problèmes fondamentaux d’intérêt général posés (exemple : l’instabilité gouvernementale sous la troisième République française). Du fait qu’aucune autorité ne dispose de la compétence de l’initiative d’une nouvelle constitution, cela va provoquer un consensus de la classe politique et de la société civile autour de l’élaboration d’une nouvelle constitution qui sera éventuellement soumise au peuple pour adoption, strictement dans l’intérêt général et non pas pour la présidence à vie d’une personne ;
3- Lorsque le ou les problèmes posés constituent un bouleversement fondamental de l’ordre constitutionnel comme un coup d’État par exemple et qu’une nouvelle constitution soit proposée ou imposée au peuple.
Il est évident que la Guinée n’est dans aucun des cas mentionnés ci-dessus. Raison pour laquelle les agissements des promoteurs de la nouvelle constitution ne peuvent être légalement fondés.
Pour les Guinéens, Dr Goureissy Condé est un intellectuel. Il sait bien qu’en Droit, mais aussi dans tous les domaines scientifiques, citer les sources de ses arguments et affirmations est une exigence incontournable et signe de bonne foi intellectuelle. De ce fait, nous attendons que Dr Goureissy Condé nous indique les articles de la constitution guinéenne qui fondent ses affirmations selon lesquelles le président Alpha Condé peut légalement prendre l’initiative de l’adoption d’une nouvelle constitution.
Quand la Nation est au bord d’une tragédie humaine savamment orchestrée par le pouvoir et ses soutiens, toute prise de position doit être motivée par l’intérêt général et non pas par des calculs politiques de courte portée au service d’intérêts égoïstes. Attention, le temps est un juge très sévère et le peuple martyr de Guinée nous observe.
MAKANERA Ibrahima Sory Makanera