Alors que l’on tend vers une augmentation imminente du prix du litre de carburant à la pompe, plusieurs opposants mettent en garde contre cette hausse. Dans un entretien accordé à mosaiqueguinee.com, Mamadou Baadiko Bah déconseille au gouvernement une décision de trop qui pourrait engendrer une explosion de colère. Dans cette interview, nous évoquons avec lui plusieurs sujets brûlants de l’heure.
Mosaiqueguinee.com : A peine nommé, le secrétaire permanent du cadre de dialogue politique et social, Fodé Bangoura, a été récusé par plusieurs figures de l’opposition guinéenne, quelle lecture faites- vous de ce rejet ? Êtes-vous disposé à y prendre part ?
Mamadou Baadiko Bah : Je vous rappelle que M. Fodé Bangoura a été unilatéralement nommé par le pouvoir, pour animer le « dialogue », sous la supervision du Premier ministre Ibrahima Kassory Fofana. Dans un dialogue sérieux et sincère, la logique de véritable ouverture politique indispensable à ce genre d’initiative, surtout dans le contexte de blocage actuel, aurait été que les acteurs intéressés, l’opposition parlementaire et extra-parlementaire soient associées à la désignation d’accord parties, d’une personnalité consensuelle pour diriger les débats. Or, il n’en est rien. M. Fodé Bangoura est un conseiller au cabinet du chef de file de l’opposition et l’Honorable Mamadou Sylla n’a même pas été informé au préalable de cette nomination, à plus forte raison consulté. Notre problème n’est donc pas prioritairement le cas de Fodé Bangoura. La question, c’est le fondement même du dialogue politique inter-guinéen réclamé d’ailleurs par les partenaires internationaux. Mais à notre niveau, toute décision d’aller ou non à ce dialogue, sera prise en concertation avec nos collègues du Groupe parlementaire Alliance Patriotique et du cabinet du Chef de file de l’opposition. Nous espérons avoir une position commune avec nos frères et sœurs de l’opposition extra-parlementaire sur toutes ces questions. Nous espérons que chacune des deux composantes de l’opposition prendra en compte les intérêts supérieurs du peuple de Guinée meurtri, en mettant en avant ce qui nous unit et qui est le plus important, en mettant de côté ce qui nous différencie ou nous divise.
Mosaiqueguinee.com : Pensez-vous que l’implication du président du PUP Fodé Bangoura, pourrait mettre fin à la crise sociopolitique qui mine la Guinée ?
Mamadou Baadiko Bah : En matière de dialogue politique, nous ne pouvons que nous référer aux leçons de l’histoire de notre pays. Chaque dialogue n’a été que des mascarades politiciennes, avec l’usage très souvent de la manipulation, de la corruption ou de la « carotte », des promesses jamais tenues. Souvenons-nous des négociations gouvernement-syndicats en janvier 2007, après les gigantesques manifestations populaires à travers tout le pays, faisant des centaines de morts, et qui n’a produit aucun changement. Nous avons eu après le fameux dialogue inter-guinéen à Ouagadougou, après les massacres et les viols du 28 septembre 2009, ayant donné naissance au pouvoir politico-ethnique corrompu actuel. Pour finir, il y a eu le fameux « dialogue » de septembre 2019 conduit par le même premier ministre. Je ne parle même pas des dialogues tenus entre 2013 et 2018 dont les conclusions n’ont jamais dépassées le stade du papier. Pour nous, les mêmes causes ne pourront donner que les mêmes effets. Comme dit un adage de chez nous : « la bonne sauce se reconnaît à la bonne odeur qu’elle dégage à la cuisson ». Et pour l’instant, ça sent franchement mauvais. Fodé Bangoura n’est pas le cuisinier, c’est un simple faire-valoir d’un pouvoir qui ne se départit pas de son manque de sincérité et même de sa mauvaise foi en matière de dialogue politique.
Mosaiqueguinee.com : Le gouvernement guinéen n’exclut pas l’augmentation du prix du carburant les prochains jours, alors que le pays traverse une crise économique et sanitaire. En tant que député, comment accueillez- vous cette nouvelle ?
Mamadou Baadiko Bah : En matière de gestion de l’économie et les finances du pays, le pouvoir ne connaît que la facilité, surtout pas de rigueur et d’actions réelles pour assainir les finances publiques. Bombarder des taxes à la consommation sur le téléphone, augmenter le prix du carburant, sachant qu’il n’aura en face que quelques collecteurs d’impôts à surveiller, voilà sa politique. Mais arrêter les détournements, la corruption dans tous les domaines, purger les effectifs de la fonction publique pour réduire l’énorme masse salariale incontrôlée tout en augmentant les salaires des vrais fonctionnaires, récupérer tous les impôts dûs par toutes les sociétés, particulièrement les miniers, il en est absolument incapable, car il ne peut pas toucher aux énormes intérêts de sa base sociale. Augmenter le prix du carburant sans mesures concrètes d’accompagnement au bénéfice des populations qui souffrent déjà de l’explosion des prix, pourra être la goutte qui fera déborder le vase. A bon entendeur salut !
Mosaiqueguinee.com : Votre grille de lecture sur la gouvernance minière en Guinée ?
Mamadou Baadiko Bah : Mais les faits parlent d’eux-mêmes : après avoir tout misé sur le bradage des richesses minières du pays, jusqu’à faire de la Guinée le deuxième producteur mondial de bauxite, le gouvernent se retrouve justement à court de ressources. Tout le monde sait que le schéma néocolonial d’exploitation des ressources minières ne peut conduire qu’à la misère, à la destruction de l’environnement et à l’appauvrissement définitif, car en l’absence d’une transformation sur place, toute la valeur ajoutée s’en va, nous laissant avec des cours mondiaux fluctuants et insignifiants. On nous parle de préalables énergétiques, pourquoi le Chine peut importer d’énormes quantités de pétrole pour transformer la bauxite guinéenne chez elle et que la Guinée ne le peut pas. L’acte final de la braderie, c’est le Simandou-Nimba.
Mosaiqueguinee.com : Quelle est votre approche de solutions pour mettre un terme aux brouilles entre les acteurs membres de la Feguifoot ?
Mamadou Baadiko Bah : La situation de Feguifoot illustre parfaitement le désastre moral dans lequel ce pouvoir a plongé toute la société guinéenne. Tout n’est que corruption, faux usage de faux, débauche de moyens financiers dont personne ne sait d’où ils viennent. Au lieu de rester un sport, le football est devenu un énorme enjeu politique, car c’est un levier que le pouvoir et ses oligarques veulent à tout prix contrôler. Vous avez vu l’énorme débauche de moyens lors de la gigantesque campagne électorale à laquelle nous avons assisté ici pendant au moins deux mois ! Si la FIFA n’avait pas sifflé la fin de la récréation en mettant les pieds dans le plat, la mascarade aurait continué et le football et les footballeurs auraient perdu. Je ne peux à cet égard que me ranger à l’avis du vieux joueur Salam SOW qui s’est indigné de cette situation en demandant qu’on rende enfin le football aux footballeurs, anciens et actuels.
Mosaiqueguinee.com : Selon le député Abdoulaye Kourouma, l’assemblée nationale n’a pas été saisie par le président de la république pour proroger l’état d’urgence sanitaire. Est-ce vrai ?
Mamadou Baadiko Bah : Vous me permettrez de ne pas m’occuper de ce que peuvent dire les uns ou les autres. Chacun est absolument libre de ses opinions et ce n’est pas mon problème. Sur le sujet lui-même, je crois qu’il faut se référer à la Constitution, notre seule référence en la matière. L’article 100 stipule : « L’état de siège comme l’état d’urgence, est décrété par le Président de la république, après avis du Président de l’Assemblée nationale et du Président de la Cour Constitutionnelle… Le décret proclamant l’état de siège ou l’état d’urgence ou l’état de siège cesse d’être en vigueur après douze (12) jours, à moins que l’Assemblée nationale saisie par le Président de la République, n’en autorise la prolongation pour un délai qu’elle fixe… » Pour moi donc, il est clair que la prérogative appartient au chef de l’Etat qui fait valider le décret par la suite. Aux deux dernières Plénières j’étais absent, car bénéficiant d’une permission d’absence du Président de l’Assemblée, pour aller aux obsèques de ma petite mère au village.
Mosaiqueguinee.com : Plusieurs accidents meurtriers dans les mines en Guinée. Quelle est votre lecture et quelle solution pour y mettre fin?
Mamadou Baadiko Bah : Comme nous le savons tous, l’exploitation artisanale de l’or aujourd’hui se fait dans les pires conditions de sécurité. Les sinistres sont quotidiens. A cause de la corruption dramatique dans ce secteur, aucune règlementation n’est respectée. Toute l’administration en profite et ne se soucie pas de la vie des gens et du sort de l’environnement. Je dois vous dire aussi que nos militants dans la préfecture de Mandiana se plaignent énormément de la présence de plus en plus massive dans la zone, d’exploitants maliens qui ne respectent rien.
Mosaiqueguinee.com : Votre dernier mot ?
Mamadou Baadiko Bah : Nous croyons que notre pays est aujourd’hui à une croisée des chemins. Le choix est clair : que chacun de nous dépasse son égoïsme et que toutes les forces vives du pays se retrouvent enfin dans un vrai dialogue fraternel et franc, pour tirer les leçons de plus près de 63 ans d’espoirs déçus, de promesses non tenues, de crimes impunis, de misère et de sous-développement chronique. Les élites guinéennes responsables de cette faillite doivent sortir de leur obstination à être à tout prix au pouvoir et de leur égoïsme, afin qu’ensemble nous sortions la Guinée de cette spirale de présidents à vie dans laquelle nous nous trouvons depuis l’indépendance et qui est responsable des malheurs du peuple guinéen.
Merci à vous Monsieur le président !
Je vous remercie
Les propos de Mamadou Baadiko Bah, Président du parti UFD, député à l’Assemblée nationale ont été recueillis à Conakry par Mohamed Bangoura