Face aux interrogations et spéculations qui enflent dans la cité, l’ancien bâtonnier décide de prendre la parole.
Dans une interview exclusive qu’il a accordée à la rédaction de Mosaiqueguinee.com, Me Mohamed Traoré tente d’éclairer la lanterne des uns et des autres qui dénoncent le fait qu’il continue toujours d’exercer sa profession d’Avocat tout en gardant sa fonction de Conseiller National du CNT. Me Traoré répond aux questions de Mohamed Bangoura.
Me Traoré, vous êtes membre du conseil national de la transition, des voix s’élèvent pour dénoncer le fait que vous continuez à exercer votre profession d’Avocat en étant conseiller. N’y a-t-il pas une incompatibilité ?
En matière d’incompatibilité, il y a une règle de base que tout juriste est censé connaître : il n’y a pas d’incompatibilité sans texte. Autrement dit, le libre exercice d’une activité est le principe, l’incompatibilité, l’interdiction, une exception. Et toute exception doit être indiquée avec précision.
Que disent nos textes sur cette question ?
Pour répondre à cette question, il faut faire un petit retour en arrière pour examiner d’anciens textes. La loi organique numéro L/91/ 014/ CTRN du 23 décembre 1991 relative aux conditions d’éligibilité, aux inéligibilités et aux incompatibilités visant les membres de l’Assemblée nationale disposait en son article 14 ceci : « Il est interdit à tout avocat inscrit au barreau, lorsqu’il est investi d’un mandat de député, d’accomplir directement ou indirectement, par l’intermédiaire d’une association, d’un collaborateur ou d’un secrétaire, sauf devant la Haute cour de justice, tout acte de sa profession dans les affaires à l’occasion desquelles des poursuites pénales sont engagées devant les juridictions répressives pour crimes ou délits contre la chose publique, en matière de presse ou d’atteinte au crédit et à l’épargne. Il est lui est interdit, dans les mêmes conditions, de plaider ou de consulter contre l’État, les collectivités ou établissements publics et les sociétés placées sous le contrôle de l’État. ». Les mêmes dispositions figurent dans la Loi organique L/ 2027/ 030/ AN du 04 juillet 2017, modifiant certaines dispositions de la Loi organique n°91/15/ CTRN du 23 décembre 1991, portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale.
Quels sont les enseignements qu’il faut tirer de ces textes ?
De ces dispositions se dégagent plusieurs enseignements. Premièrement, l’avocat investi d’un mandat parlementaire peut exercer sa profession. C’est ainsi que tous les avocats qui avaient été élus députés ont pu exercer leur profession. C’est le cas du Bâtonnier Abdoul Kabèlè Camara et de Maître Pépé Koulémou. Deuxièmement, la seule limite à l’exercice de la profession d’avocat pour un député concerne les cas dans lesquels des poursuites pénales sont engagées dans des infractions spécifiques. Le législateur parle de crimes ou délits contre la chose publique, en matière de presse ou d’atteinte au crédit ou à l’épargne. Pour savoir ce qu’il faut entendre par « crimes ou délits contre la chose publique », il faut se référer à l’ancien code pénal. La notion de « crimes ou délits contre la chose publique » n’est pas reprise par l’actuel code pénal. Troisièmement, l’avocat membre d’une institution parlementaire ne consulte pas et ne plaide pas contre l’État. Et là, c’est quand l’État est concerné par une affaire ou est partie à un procès. Si l’État n’est pas concerné par une affaire ou n’est pas partie à un procès, cet avocat garde la plénitude de l’exercice de sa profession. C’est pourquoi, je n’ai accepté aucun dossier dans lequel l’État est partie comme les dossiers qui passent devant la CRIEF puisque là l’État est partie aux différentes procédures et a ses avocats. Il est important de savoir que le ministère public n’est pas le représentant de l’État dans un procès. Lorsque l’État est partie à un procès, il constitue un avocat comme tout autre plaideur. Quatrièmement, l’avocat membre d’une assemblée nationale peut plaider ou consulter au profit de l’État ou défendre ses intérêts dans un procès. Les textes sus évoqués ne sont plus en vigueur puisqu’il n’existe pas d’Assemblée nationale.
Alors là il s’agit de l’assemblée nationale mais qu’en est-il du Conseil national de la transition qui fait office de parlement en période exceptionnelle ?
En ce qui concerne le Conseil National de la Transition, parlement ou assemblée nationale de transition, le texte qui régit son fonctionnement est la Loi/ 2022/001/CNT du 25 février 2022, portant règlement intérieur du Conseil National de la Transition. Dans les articles 64 à 68 de cette loi, il n’est nulle part mention d’une incompatibilité visant un avocat.
On apprend que vous auriez décidé de ne pas plaider dans certains dossiers ? Pourquoi avoir fait un tel choix ?
Pour éviter une situation de conflit d’intérêts, je ne peux pas plaider contre l’État étant membre du CNT. Mais je précise encore une fois que c’est quand l’État est partie à un procès. Une autre précision, le règlement intérieur du CNT ne le dit pas. Mais j’ai choisi moi-même d’éviter une telle situation sinon je violerais l’engagement sur l’honneur que j’ai pris en acceptant mes fonctions de membre du CNT. Il faut d’ailleurs noter que ce n’est pas dans tous les cas que l’État est partie à un procès. Cette confusion, il faut absolument l’éviter. Ce n’est pas parce que dans un procès pénal, il y a un procureur que l’État est forcément partie à ce procès. Le procureur représente la société et non l’État. Quand l’État est partie à un procès, il a ses avocats constitués par l’agent judiciaire de l’État.
Interview réalisée par Mohamed Bangoura