Dans une grande interview qu’il a accordée à la rédaction de Mosaiqueguinee.com, Dr Faya Millimouno revient sur les grands sujets brulants de l’actualité en Guinée. Le leader du parti BL évoque sa tournée à l’Etranger, la dernière manifestation du FNDC, le maintien par la CEDEAO des sanctions contre la junte guinéenne. Dans cet entretien, Dr Millimouno estime qu’il n’est pas question de revenir sur le dialogue qui s’est tenu à Conakry en l’absence de certains grands leaders politiques : » on ne reviendra pas sur ce qui a été fait », martèle-t-il mais invite les absents à se préparer » à être autour de la table la prochaine fois que le besoin se fera ressentir ».
Dr Faya Millimouno répond aux questions de Mohamed Bangoura
Interview !
Mosaiqueguinee.com : Bonjour Dr Faya Millimouno ? Le leader du parti Bloc Libéral rentre d’un périple à l’Etranger. Etait-il en campagne pour les futures échéances électorales ?
Dr Faya Millimouno : J’étais allé au Etats-Unis pour continuer le travail que j’ai fait en 2022. Comme vous le savez, en 2022, j’ai passé plus de jours à l’intérieur du pays qu’à Conakry. Cela m’a permis de visiter l’ensemble des préfectures du pays et 90% des sous-préfectures de mon pays sans compter les districts. Ce travail devrait se poursuivre à l’étranger car, comme vous le savez, nous ne sommes pas présents qu’en Guinée, nous sommes aussi présents à l’étranger. J’ai mis mon séjour à profit pour conférer avec les militants, les sympathisants et les responsables de Bloc Libéral aux Etats-Unis mais aussi au Canada où j’ai visité Montréal, Québec et aussi Ottawa. A mon retour, je me suis envolé pour l’Europe où le BL a des structures. Le plus important, c’est que j’ai profité de ce séjour pour aller jusqu’en Allemagne pour valider la toute nouvelle fédération du BL dans ce grand pays. J’étais donc à l’extérieur pour préparer le parti pour le grand combat qui nous attend, à l’issue de cette transition parce qu’au BL, nous sommes en train de nous battre pour assurer les reines du pouvoir à la fin de cette période.
Comment se porte aujourd’hui le BL à l’Etranger ?
Le BL se porte très bien en dehors du pays. Nous l’avons constaté et mesuré cela à travers les échanges que nous avons eus avec l’ensemble des responsables. Imaginez, en Europe, les gens sont très occupés. Mais si tu vois que les gens se déplacent d’un pays à un autre pour avoir un conclave et réfléchir ensemble à l’avenir du parti en Europe et la participation des fédérations de l’Europe au prochain combat, cela veut dire que le BL, nous aussi sommes en train de nous battre au prochain combat.
Vous revenez au pays qui a, une nouvelle fois, enregistré des morts lors d’une manifestation à l’appel du FNDC. Quelle est la réaction du président du BL ?
Vous me permettrez de m’incliner devant la mémoire des disparus et de présenter mes condoléances aux familles. Trois morts, c’est encore des morts de trop. Je souhaite que les enquêtes soient menées et que chacun soit mis devant ses responsabilités. Le jeu de voir nos compatriotes enterrés, est un mauvais jeu. Nous sommes politiques qui nous battons pour le pouvoir. Mais si nous l’avons, c’est pour diriger les hommes. Personnellement, pendant 11 ans, j’ai participé avec mon parti, à toutes les manifestations. Mais, au BL aujourd’hui, nous nous sommes dit qu’il faut que nous trouvions un temps d’arrêt pour réfléchir à tout cela. Nous avons déploré la mort d’une centaine de personnes depuis l’arrivée du professeur Alpha Condé. Nous avons aujourd’hui un procès qui est celui des évènements du 28 septembre 2009. Et avant le 28 septembre 2009, beaucoup d’autres jeunes gens avaient été arrachés à l’affection de leurs parents. Nous sommes en période transitoire, nous avons choisi de dire : réfléchissons à tout cela pour que l’exercice de certaines libertés, de certains droits ne soient plus le motif pour qu’on enterre un guinéen. Mais nous continuons avec le même jeu qui nous permet de compter des morts, des blessés, la destruction des biens publics. Moi, au nom de mon parti, je continue de prêcher pour que chacun de nous se retire et qu’avec l’humilité, qu’on se mette autour de la table pour que le problème guinéen se discute pendant cette période transitoire. Nous ne sommes pas devant une mouvance qui mérite d’avoir une position, nous sommes devant une équipe qui vient régler un problème qui a été posé par l’échec des institutions, les mêmes institutions qui étaient dirigées par un politique qui s’est battu pendant 50 ans et qui a voulu un mandat de trop. Je crois que, si nous tenons compte de tout cela, le meilleur choix qu’on devait avoir aujourd’hui, c’est celui de mettre autour de la table, que chacun apporte le meilleur de lui-même dans l’humilité, le respect mutuel pour qu’ensemble, nous jetions les bases d’un pays émergent.
L’actualité en Guinée reste marquer par le maintien des sanctions de la CEDEAO qui a aussi réitéré l’interdiction de voyager à plusieurs hauts cadres et membres du gouvernement. Quelle analyse faites-vous ?
Je crois qu’elles sont inopportunes et contreproductives. Elles le sont parce que d’abord, la CEDEAO doit cesser de se comporter comme elle se comporte. Des guinéens ne sont pas sans mémoire. S’il y a eu 3ème mandat qui a été à l’origine de la crise que la Guinée gère aujourd’hui, c’est avec la contribution tacite des chefs d’Etats de la CEDEAO. Le combat a été rude pour le FNDC et toutes les forces politiques et sociales qui ont voulu que nous ne rééditions pas ce qui nous a toujours fait échouer. Le premier président de notre pays a eu 26 ans au pouvoir, celui qui l’a succédé a aussi fait 24 ans, il est mort au pouvoir après avoir court-circuité la Constitution en 2003 pour un 3ème mandat. On sait toutes les crises que cela a entrainées dans notre pays, avec tous les morts que cela a entrainé dans notre pays, c’est pourquoi le cri de cœur de la Guinée ou des guinéens, c’était de dire à la CEDEAO d’empêcher qu’on ait un 3ème mandat parce que ça va entrainer ce pays dans une autre crise. Mais elle ne nous a pas écoutés. J’étais de la délégation qui a été posée le problème à Abuja, ils n’ont rien fait. Aujourd’hui, cette même CEDEAO ne peut pas se comporter comme si elle ne fait pas partie du problème. Elle fait partie du problème, c’est cela la réalité. Comment la CEDEAO peut, d’un côté négocier et obtenir les 24 mois avec la junte et s’engage à accompagner la Guinée en mobilisant les ressources pour la mise en œuvre de l’agenda, peut encore, parce qu’il faut satisfaire un ami, on réduit l’avenir de toute une région de l’Afrique à des petites combines avec des individus. Je trouve que c’est une attitude que la CEDEAO doit changer parce que c’est contreproductif. Ils ont obtenu déjà ce qu’ils ont demandé en tout cas à la Guinée, maintenant il faut travailler pour permettre le retour à l’ordre constitutionnel. Ils ont obtenu la mise en place d’un cadre permanant de dialogue, ce cadre a eu ses premiers travaux qui ont abouti à un ensemble de recommandations. Il faut être aux côtés de la Guinée pour la mise en œuvre de ces recommandations issues de ce dialogue. Plutôt que de cela, on durci le ton parce que tout simplement, il faut satisfaire des amis, des copains. Je crois que la CEDEAO doit élever un peu le niveau du débat.
Dr Faya Millimouno est-il favorable à la tenue d’un nouveau dialogue qui va regrouper l’ensemble des acteurs comme l’exige la CEDEAO ?
La manière dont certains posent le problème, c’est mauvais. Le dialogue a commencé. Si tout le monde avait la volonté de participer à ce dialogue, tout le monde participerait parce que personne n’avait été exclue. Le monde entier vient de traverser un moment de pandémie. Pendant plus d’un an, que ce soit des organisations, des gouvernements, personne ne s’est réunie en présentielle. A supposer que ces leaders qui sont à l’extérieur avaient la volonté de participer, la technologie les aurait permise de participer et cela aurait pu être aménagé. Le dialogue m’a trouvé à l’intérieur du pays. Mais la coalition et le parti politique que j’ai l’honneur de diriger, étaient autour de la table. Il n’est pas dit qu’il faut forcément que le leader soit à Conakry ou qu’il participe. Là où on pose mal le débat, c’est de dire que certains ont été exclus. Personne n’a été exclue. Les gens ont fait les choix et ces choix doivent être assumés. Le cadre de dialogue qui a été mis en place, est un cadre permanant. Le besoin se fera sentir encore de se retrouver autour de la table. Ce qu’on peut faire comme invitation à l’adresse de nos camarades, c’est de s’apprêter à être autour de la table lorsque le besoin se fera sentir. Mais quand à poser le problème de revenir sur ce qui a été fait, on ne reviendra pas sur ce qui a été fait. A nos amis leaders politiques et des acteurs de la société civile, je veux encore réitérer mon souhait de se retrouver, déjà on estime qu’il y a de la bonne volonté d’être autour de la table avec tous nos frères, parce que l’absence d’une seule est une perte pour la Guinée. Parce que, au moment où nous sommes, la Guinée est en période électorale. Pendant cette période transitoire, nous nous sommes fait l’objectif de jeter les fondations de ce pays. La contribution est importante. Plus nombreux nous autour de la table, plus lumineuses seront les idées que nous allons trouvées. J’invite nos amis qui ont choisi de bouder la première partie, puisque nous sommes dans un cadre permanant de dialogue, qu’ils s’apprêtent à être autour de la table la prochaine fois que le besoin se fera ressentir.
L’autre sujet brulant, c’est bien entendu la menace du Ministre de l’administration du territoire et de la décentralisation de suspendre ou de retirer des agréments aux partis politiques ayant soutenu la dernière manifestation du FNDC, en cas de condamnations pénales. La démocratie n’est elle pas menacée en Guinée avec la junte militaire du CNRD ?
Nous en tant que partis politiques, sommes régis par une organique portant charte des partis politiques. Dans cette charte, lorsque vous lisez les dispositions qu’elle contient, vous verrez qu’être un parti politique ne nous autorise pas à faire du n’importe quoi. On peut être poursuivi en justice. Le Bloc Libéral et ses militants l’ont été plus d’une fois lorsque nous avons eu nos droits ont été respectés, on s’en est sorti sans condamnation. Mais effectivement, lorsqu’un parti politique est condamné pour un crime ou une infraction qui est contraire aux dispositions de la charte, ce parti politique peut faire l’objet de dissolution.
Ne faut-il pas craindre l’instauration d’une dictature par des militaires dont la vocation n’est pas l’acquisition et l’exercice du pouvoir ?
Je crois qu’on n’en est pas encore là. Je crois qu’aujourd’hui, il est encore question d’établir la culpabilité des formations politiques et de la société civile mises en cause. Lorsque nous serons face à cela et que la justice se sera prononcée, nous pouvons donner notre avis par rapport à la question. Mais comme je l’ai dit, nous sommes des justiciables, être des leaders des partis politique ne nous met pas au dessus de la loi. D’ailleurs, nous devons nous comporter de telle sorte que nous soyons les premiers à donner le bon exemple parce que le combat que nous sommes en train de mener, c’est le combat pour l’affirmation des principes, pour la promotion des valeurs communes. Sans le respect de la loi, nous ne sommes que des animaux.
Plusieurs leaders politiques et des acteurs de la société civile sont toujours en détention préventive. Même si on annonce l’ouverture prochaine de leur procès, n’y a-t-il pas une volonté de garder indéfiniment ces personnalités en prison pour des intentions inavouées ?
A chaque fois qu’un guinéen est privé de liberté, ça ne peut pas faire des heureux. La Guinée s’identifie à la liberté, c’est le choix que nous avions fait en 1958. Quand un guinéen est privé de liberté, on est très sensible à cela. Ce qu’on peut souhaiter, en tant qu’acteur politique, c’est que la loi soit respectée. Le respect de la loi c’est le respect de la présomption d’innocence. Si on peut obtenir le même résultat en mettant quelqu’un en prison et aussi en résidence surveillée, on peut aller vers ça. Si on sait que ce sont les mêmes résultats qu’on obtient en les mettant sous contrôle judiciaire, je crois qu’on peut aller vers ça. Donc, je suis d’abord content d’apprendre que maintenant, on est en train de s’acheminer vers un procès qui va permettre à l’Etat de donner la preuve des accusations qui sont faites contre Monsieur Kassory Fofana et d’autres acteurs qui sont en prison .Je souhaite leurs droits soient respectés parce que c’est ça seulement que la Guinée peut gagner.
Le CNT a organisé récemment un symposium sur le constitutionnalisme. A votre avis, quelle est son utilité ?
C’est bien important. Il faut qu’on sache, bien entendu, c’est quoi la Constitution. J’étais invité et je voulais prendre part pour écouter les experts conviés pour animer ce symposium. Je crois que c’est un bon coup d’envoi pour le lancement du débat d’orientation constitutionnel que le CNT a promis pour que les guinéens adoptent, comme l’a dit le président Doumbouya, une Constitution qui ne soit pas le résultat d’un copier-coller.
Près de 18 mois après la prise du pouvoir par Mamadi Doumbouya et ses éléments des forces spéciales, quel bilan faites-vous de l’exercice du pouvoir par le CNRD ?
Je dois dire très honnêtement, je suis un acteur politique qui a participé à la vie politique de notre pays les 13 dernières années, le CNRD a donné un bilan globalement positif. Aujourd’hui, c’est vrai qu’il y a beaucoup qui disent qu’un gouvernement de transition n’a pas vocation de développer mais si l’occasion est là pour doter les guinéens d’un kilomètre de route comme ils sont en train de le faire, je crois que c’est à saluer. Il y a aujourd’hui beaucoup de choses qui sont en train de se passer qui donnent l’impression que c’est un gouvernement dirigé par un élu qui a demandé un mandat, qui avait tout l’accompagnement de la communauté internationale et qui recouvrait les taxes, les impôts et autres. Sur le plan des travaux, on voit des choses qui sont en train de se passer. Au niveau des institutions, on a vu le CNT mis en place qui est en train de faire le travail, le gouvernement est en train de fonctionner, le dialogue a été mis en place et il a produit des résultats pour unir les guinéens et les réconcilier. Tout cela constitue, si vous voulez, le bilan des quelques mois du CNRD, on ne peut que les féliciter. Au niveau de la justice, comme le président Mamadi Doumbouya lui-même l’a dit, la justice doit être la boussole. Etre la boussole, c’est de faire tout pour que ce soit le droit qui régit les guinéens.
Vous vous félicitez du bilan du CNRD mais pendant ce temps, le panier de la ménagère fait face à la vie dure. Les prix grimpent pendant ce mois de pénitence Carême et le Ramadan aussi approche à grand pas. N’est-ce pas un échec des militaires ?
A chaque fois que le panier de la ménagère est concerné, en tant qu’hommes politique, nous sommes concernés. Nous sommes un parti qui s’identifie au socio-libéralisme. (…). Ce que je ne comprends pas, c’est que pour un pays aussi religieux comme la Guinée, que le carême commence et que le Ramadan s’annonce mais les prix flambent ? Il y a de quoi s’interroger. L’interpellation qu’on peut faire, ce n’est pas seulement aux autorités qui doivent prendre des dispositions pour faciliter les choses aux populations, mais c’est aussi à l’ensemble des acteurs politiques qui se prêtent à ce jeu.
Interview réalisée par Mohamed Bangoura