L’homme d’affaires et président du parti UDG vient d’écrire un livre dans lequel il décrit le parcours extraordinaire de sa vie, le début et le développement de ses affaires, sa relation avec les présidents Lansana Conté, Moussa Dadis Camara, Sékouba Konaté et Alpha Condé. Dans un entretien qu’il a accordé à la rédaction de Mosaiqueguinee.com, ce témoin et acteur de près d’un demi-siècle de vie en Guinée invite la junte et les forces vives de Guinée à privilégier l’intérêt supérieur de la Guinée : « Que tout le monde vienne, on doit prendre la Guinée et laisser les autres considérations », a-t-il lancé. S’agissant du maintien en détention de son jeune frère, le coordinateur du FNDC, le président de la CORED dit être « dépassé » par le refus de la junte de lui accorder une liberté. Enfin, sur son silence depuis plusieurs mois, le président du parti UDG reste persuadé que « quand on court alors qu’on n’a pas sifflé, on risque de se fatiguer avant même le départ ».
Mamadou Sylla répond aux questions de Mohamed Bangoura
Interview !
Mosaiqueguinee.com : Mamadou Sylla Bonjour ? Vous venez de publier chez l’Harmattan Guinée, le livre titré : ‘’El hadj Mamadou Sylla Patronat, l’homme et son destin’’. Pourquoi avoir décidé d’écrire sur votre histoire ?
Mamadou Sylla : Vous savez, à un moment donné, l’homme travaille et voit assez de choses se dérouler dans sa vie. Je crois que c’est un devoir civique de tout un citoyen de ce pays. Pour essayer de ne pas mourir avec tous les secrets, il faut restituer, informer les gens avec les preuves à l’appui. Dans le livre, j’ai cité des gens qui vivent encore qui peuvent témoigner des choses que je raconte. Il s’agit des faits que j’ai vécus, ce n’est pas ce que quelqu’un m’a dit. C’est moi-même qui ai vécu ces faits. On ne sait pas à quel moment on va mourir, je me suis dit qu’il fallait restituer les choses que j’ai vécues. J’avoue que même mes enfants ne savaient pas que ce livre allait sortir. Quand il est sorti, beaucoup d’entre eux ont pleuré. Ils ont dit qu’ils ne savaient pas que j’ai autant souffert. A travers ce livre, ils savent désormais qui est leur père, comment il a vécu son enfance et tout. C’est pour laisser un héritage, pas seulement pour mes enfants mais pour la Guinée voire le monde. Le livre est vendu à 17 euros. Le livre a été édité par Harmattan France. Aujourd’hui, quand on regarde, on remarque beaucoup de maisons d’édition et des gens s’intéressent à ce livre. Selon le rythme de vente, on voit que ça marche. C’est pourquoi je dis que c’est un héritage car ce n’est pas seulement l’argent ou les maisons qu’on peut laisser comme héritage. Les gens verront qu’avec ce livre dans lequel j’ai témoigné sur les 40 dernières années de la Guinée, que j’ai laissé un héritage.
Vous l’avez titré : ‘’El hadj Mamadou Sylla Patronat, l’homme et son destin’’. Pourquoi avoir choisi un tel titre.
Mon enfance n’a pas été facile. Mais comme indique le titre du livre, l’homme et son destin, quand Dieu prévoit quelque chose, on ne peut l’éviter. Quand Dieu prévoit, on le dit souvent, tout ce que tu touches, ça bouge. C’est ce qui est arrivé, tout ce que je touche, Dieu aidant, ça bouge. Dans le livre, il y a 4 chapitres. L’enfance, j’ai eu beaucoup de difficultés. Je suis né d’abord dans une grande famille de 24 enfants avec 4 femmes et ma mère était la première. Et vous savez, chez nous, au fur et à mesure qu’on épouse les femmes, les premières sont mises de côté. Il y a beaucoup de modèles de mon père, mais ma maman, il n’y a pas beaucoup de modèles. Je suis très fier de le dire car, avec toutes les difficultés, elle a pu supporter malgré qu’elle n’avait pas eu de sœur (une seule, et c’était la dernière). Moi qui étais à côté d’elle, je faisais tout ce qu’une fille peut faire pour sa maman. Pendant que je partais au champ, j’aidais aussi ma maman. Alors, quelqu’un qui partait au champ avant, se retrouve aujourd’hui dans un château. C’est grâce à Dieu. C’est tout ça que j’ai expliqué.
Dans ce livre, vous revenez sur vos relations personnelles avec feu Général Lansana Conté. ça se raconte que c’est lui qui vous a donné l’argent pour le commerce. Est-ce vrai ?
Conté, c’est vrai que c’était un ami, une bonne personne mais il m’a vu ou appelé parce que j’avais les moyens. C’est à travers cela, en tant que jeune même pas marié à l’époque, qu’il m’a appelé. J’ai raconté cela dans le livre parce que les gens crient et racontent que j’ai été approché par Conté qui m’a remis de l’argent de l’Etat, c’est plutôt le contraire. J’ai bien aidé l’Etat à travers Conté. Sinon, comme je l’ai dit dans le livre, j’ai commencé le commerce import-export avec une société SARL après une SA et ainsi de suite. Ensuite, j’ai créé une première société, ça a marché, une seconde aussi et j’ai commencé à créer des filiales un peu partout. J’ai eu de la chance parce que quand les militaires sont venus en 1984, ils ont fermé beaucoup d’usines parce qu’avant, c’était la commande de l’Etat. Je crois que tout ça c’était les recommandations de l’Etat. Chaque fois, moi je me plaçais. Quand tu prends FUTURE transport, j’ai acheté beaucoup de bus pour remplacer SOGETRAC, j’ai créé FUTURE Trading pour remplacer ALIMAG à l’époque qui faisait venir le riz, l’huile et tout ainsi de suite jusqu’à 10 filiales et, avec Holding qui gérait toutes ces choses, on s’autofinançait, on n’avait plus besoin d’aide de banque. Ça m’a aidé même s’il y a eu beaucoup de détournement aussi. Et puis l’Etat aussi, je suis allé jusqu’à faire 12 jours en prison en 2007. Il y avait aussi des relations internationales parce quand j’étais auprès du président, quand des problèmes avec des pays qui venaient souvent, il me consultait surtout pour l’expérience internationale que j’ai. Parce que j’étais le président de la fédération patronale de la CEDEAO. J’ai eu des relations avec ça. Et puis, il y a beaucoup d’autres choses qui ne sont pas dites dans le livre. D’ailleurs, je pense que ce livre seul ne suffira pas. Il nous faut un second volet pour dire beaucoup d’autres choses que je n’ai pas forcément dites dans ce livre.
On va parler Politique: quel est votre regard sur la situation politique de la Guinée ?
Politique, je suis inquiet, je suis très inquiet quand à la fin de tout ce qui se passe aujourd’hui. Normalement, tout début qui est difficile, la fin doit être heureuse. Je prie Dieu pour que tout cela soit bon pour la Guinée. J’ai une fois dit à Alpha Condé d’accepter de travailler avec l’opposition, c’est-à-dire avec tout le monde. J’ai dit que, si vous travaillez avec l’opposition, vous allez doubler les résultats que vous auriez fait sans elle. Vous avez vu, tout le temps, les gens étaient dans la rue, il n’a pas pu faire ce qu’il aurait pu faire. Quand c’est comme ça, c’est difficile. Je souhaite vraiment que les gens puissent s’entendre. Quand je parle comme ça, les gens me collent des étiquettes et pourtant, je ne suis avec personne. Moi je suis pour le principe qui veut que notre pays aille de l’avant. C’est pourquoi maintenant, je suis calme, je ne parle pas trop. Dieu nous a créés mais nous ne sommes pas égaux.
Depuis plusieurs mois, vous observez une pause politique. Pourquoi ce silence de l’homme politique, je dirais un renard politique ?
Moi j’attends que les choses sérieuses commencent. Vous savez, quand on court alors qu’on n’a pas sifflé, on risque de se fatiguer avant même le départ. Quand les choses sérieuses vont commencer, je peux dire oui, cette fois c’est sérieux. Pour le moment, je ne crois même pas au délai de deux ans. Rien ne me rassure tant qu’on ne dit pas c’est demain ou dans un mois. Je regarde et je reste sur ma faim. Au départ, c’était le FNDC. Un jour, je leur ai conseillés qu’on ne pouvait pas remporter ce combat et qu’Alpha avait décidé de faire son 3ème mandat. Alors, comme déjà ce sont les législatives qui vont passer en premier, essayons d’aller et après, on va le battre dans les urnes au moment du référendum parce qu’il n’est pas populaire en ce moment. Ils ont dit non en disant qu’ils vont empêcher. Je leur ai demandé s’ils en avaient les moyens. Comme ils ne m’ont pas donné, je suis parti et ça a donné ce que ça a donné à l’Assemblée. C’est pourquoi, parfois, il faut changer de stratégie. Je suis en train d’observer, et au bon moment, je vais me lever. Aux forces vives ? A un moment donné, il faut le faire. Quand j’étais chef de file de l’opposition, je le disais : parfois, il faut s’opposer autrement. Je préfère aller m’asseoir dans une salle climatisée pour négocier que d’aller brûler des pneus et lancer des cailloux. A un moment donné, on était tous pour que le CNRD nous entende. Mais quand tu fais toutes les prévisions et que tu n’as pas les moyens de ta vision, on se bat contre des gens qui sont militaires et qui ont des fusils, ils ont de l’argent aujourd’hui. Qu’est-ce que tu peux faire ? Tous les autres pays ont aussi leurs problèmes. Regardez le Sénégal avec l’affaire Sonko. Est-ce qu’il (Macky Sall) peut laisser ça et venir nous aider ? Il faut tirer des leçons de tout et changer de stratégie. Chaque sortie, il y a mort d’homme, une personne tuée c’est encore de trop. Tout ça, c’est aussi les péchés parce que Dieu voit tout le monde, le rôle que chaque personne joue.
Depuis aout 2022, votre jeune frère, Foniké Menguè, le coordinateur du FNDC est en prison. Qu’est-ce que vous avez pu faire pour lui pour qu’il recouvre sa liberté ?
C’est quelque chose qui m’a dépassé. Si quelque chose m’a dépassé dans ma vie, c’est cela. Depuis que mon père est décédé, je suis le père de famille. Oumar, ce sont les derniers de mon père. Ils sont comme mes enfants parce qu’ils ont grandi avec moi, j’ai payé toutes leurs scolarités et tout. Même aujourd’hui, il loge chez moi, il est encore dans ma main. Aujourd’hui, il a trois enfants et tout, mais il est très jeune. Ça me fait de la peine. J’ai tout fait au temps d’Alpha, c’est difficile. Les jeunes maintenant sont compliqués. La façon dont ils voient les choses et nous autres, ce n’est pas la même chose. Je l’ai conseillé, quand il est sorti, je lui ai dit, sors d’abord et te former bien jusqu’à quand Alpha va partir. On pensait qu’il était du même groupe que ceux qui sont venus, parce qu’ils ont renversé Alpha pour des raisons bien précises. Mais dire que c’est ce même militaire qui l’a mis en prison, ça m’a dépassé. Je suis vraiment très faible devant cette affaire, je ne sais pas quoi faire. Pendant j’ai réglé beaucoup d’autres cas des gens qui ne sont pas de ma famille, mais celui-là me dépasse. Ce n’est pas parce que je n’en parle pas tous les jours, lui-même sait combien de fois j’ai de la peine pour lui. Je souhaite qu’il puisse recouvrer rapidement sa liberté.
Avec le recul, quels conseils pouvez-vous prodiguez à la junte militaire et aux forces vives de Guinée ?
J’ai dit et réitéré qu’il faut que les choses soient sincères. Lorsqu’on a commencé cette affaire de dialogue, tous les leaders se réunissaient ici chez moi. C’est à cause de cela que j’ai eu même le contrôle judiciaire. A partir de l’arrivée chez moi du premier ministre, j’ai dit, attend, on a déjà une porte pour rentrer. Ce n’est pas parce qu’on a peur, mais à un moment donné, la situation était complètement bloquée, mais avec cela j’ai demandé à ce qu’on saisisse l’occasion. Quand tu écris à quelqu’un et que l’intéressé te répond et demande d’aller chercher sa réponse, je pense qu’il faut saisir cette opportunité. Mais eux ils disent non, qu’on ne devrait pas aller chercher ça. Mais pourquoi ? J’ai dit à Cellou et Sidya qu’ils ont quand même été premiers ministres dans ce pays, qu’il fallait avoir de la courtoisie. C’est là-bas qu’il y a eu discorde. J’ai alors dit que comme je suis libre comme poisson dans l’eau, on ne peut pas me dicter la démarche à suivre. Chacun a sa façon de voir les choses. J’ai envoyé une équipe avec la CORED qui a travaillé. Que tout le monde vienne, on doit prendre la Guinée et laisser les autres considérations. Des deux côtés, qu’on puisse privilégier la Guinée, c’est important. Quand on veut tous être dur, on risque de ne jamais s’entendre. C’est ce qui se passe aujourd’hui, une crise de confiance.
Interview réalisée par Mohamed Bangoura