Il y a plus d’une décennie, El Hadj Almamy, actuel patriarche de la dynastie Amara Soumah, publiait ce pan de notre histoire familiale dans le magazine « MATALANA ». Le slogan de la Fondation « Un destin guinéen » vient de là.
AMARA SOUMAH, UN DESTIN GUINEEN
FIGURE POLITIQUE DE 1932 à 1970, AMARA SOUMAH A EU UN PARCOURS HORS DU COMMUN, MARQUE ENTRE AUTRES PAR CINQ RENDEZ-VOUS AVEC LA MORT.
NE LE 10 FEVRIER 1910 A CONAKRY, EN PAYS BAGA, FILS DE TANOUNDI SOUMAH CULTIVATEUR A KAPORO ET DE MAMET CAMARA ORIGINAIRE DE SONFONIA, AMARA SOUMAH ECHAPPA UNE PREMIERE FOIS A LA MORT UNE SEMAINE APRES SA NAISSANCE.
Le jour de son baptême, dans la concession familiale, un rival de son père démarcha un esclave de la famille, du nom de Kendou, pour mélanger du poison avec la mixture de kola afin de la mettre au fond de la gorge du bébé comme l’exigeait la coutume. Une joueuse de cauris à Sonfonia, avait prédit un grand destin à l’enfant. Le drame fut évité grâce à la vigilance de ses oncles maternels, car Kaporo à l’époque avait une très mauvaise réputation.
Craignant pour la vie de son rejeton, Tanoundi Soumah l’envoya très tôt grandir à Conakry, chez son frère Mangué, dit Foulé Mangué, clans le quartier de Boulbinet, premier lotissement indigène de la capitale de la Guinée.
Foulé Mangué un des premiers lettrés bagas assura !’éducation et !’instruction de son neveu jusqu’au-delà de l’école primaire supérieure.
N’ayant pu intégrer !’Ecole normale William Ponty à cause d’un service rendu à un de ses camarades de classe, Amara Soumah opta pour la vie active et intégra la seule entreprise qu’il devait servir tout au long de son existence, la Banque de l’Afrique occidentale (BAO) qui deviendra par la suit e la Banque internationale pour l’Afrique occidentale (BIAO).
Cet établissement était non seulement la première banque francophone subsaharienne, mais également faisait office de Banque centrale, car chargée de l’émission des billets et des pièces de franc CFA.
Dès son entrée dans la vie active, Amara Soumah plongea dans les activités sportives, culturelles et politiques de son pays.
En 1930, ii fonda avec des amis l’un des premiers clubs sportifs de la Guinée (le deuxième après la Jeanne d’Arc initiée par les missionnaires), l’Etoile de Guinée, qu’il allait présider jusqu’à sa fusion avec l’Aigle noir, pour donner naissance au Racing club de Conakry (RCC).
II dirigea également cette formation, la plus célèbre de la colonie jusqu’à sa dissolution au moment de l’indépendance du pays. Le RCC s’illustra, notamment en 1948, en remportant à Dakar, la Coupe de l’Afrique-Occidentale française (AOF) mettant ainsi fin à la suprématie absolue des clubs sénégalais.
Sur le plan associatif et culturel, Amara Soumah ne ménagea pas son enthousiasme, sa peine et ses maigres moyens. En 1937, avec d’autres, ii fonda le Cercle indigène, cercle culturel qu’il allait aussi présider et qui fut un contrepoids au Cercle européen fréquenté exclusivement par les colons.
A la même époque, ii agit de même lors de la fondation de !’Union de la Basse-Guinée, organisation qui à l’instar de celles initiées au Fouta-Djalon l’Amicale Gilbert Vieillard, en Haute Guinée l’Union du Mande et en Foret l’Union forestière, allaient être les creusets des formations politiques, après la Seconde Guerre mondiale.
Pendant le conflit, Amara Soumah, comme d’autres jeunes Guinéens, rejoint les réseaux de la résistance gaulliste, réseaux installés dans toutes les colonies de l’AOF, de l’Afrique-Equatoriale française (AEF) et des territoires sous mandat du Togo et du Cameroun. C’est à cette occasion qu’il aura son second rendez-vous avec la mort.
Arrêtés sur dénonciations, lui et ses camarades sont transférés sur l’ile de Gorée, au large de Dakar, où ils sont tous condamnés à mort par les administrateurs ralliés au régime de Vichy. Le leader du groupe, Adolphe Gaëtan est fusillé le premier ; d’ailleurs une avenue de Conakry porte aujourd’hui son nom. Les autres, dont Amara Soumah, ont miraculeusement eu la vie sauve quand le sort de la guerre change avec le débarquement des forces américaines en Afrique du Nord, le 8 novembre 1942, et la prise du pouvoir dans les colonies par les généraux Henri Giraud, en Afrique du Nord, et Charles de Gaulle, en Afrique noire.
Les condamnes furent aussitôt libérés et Amara Soumah rejoignit son pays et sa famille après un long périple à travers le Soudan (actuel Mali) et la Guinée.
Amara Soumah reprit immédiatement son travail à la banque et ses multiples activités culturelles, mais également politiques. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les colonies africaines anglaises comme françaises connurent une accélération de l’Histoire.
La Conférence de Brazzaville, du 30 janvier au 8 février 1944, avait réveillé des espoirs. René Pleven, commissaire aux Colonies dans le Comité français de libération nationale, qui avait été créé en juin 1943 à Alger, avait déjà proposé au général de Gaulle de faire évoluer le statut des colonies ; il fallait comme l’écrit le chef de la Résistance dans ses Mémoires d’espoir « remplacer le système de l’administration directe par une nouvelle forme d’association » .
Cette Conférence suscita beaucoup d’espoir parmi les élites africaines, mais aussi d’immenses déceptions.
L’Historien Laurent Gbagbo dans son opuscule, La Conférence de Brazzaville, a bien insisté sur les insuffisances de cette rencontre. Car contrairement aux Français, les Britanniques avaient fait évoluer de façon très significative leur système. Les fédérations du Nigeria connurent très tôt le self-government.
II ne faut donc pas s’étonner du succès que connurent les Groupes d’études communistes (GEC), qui avaient été créés dans les principales capitales de I’AOF, dont Conakry, dès 1943 par des intellectuels membres du Parti communiste français.
Ces GEC formèrent des militants syndicalistes et politiques de très haut niveau. Ils furent décisifs lors de la fondation à Bamako du Rassemblement démocratique africain (RDA) du 10 au 21 octobre 1946,
Cette formation allait revo1utionner la vie politique dans toutes les colonies françaises en Afrique noire. En Guinée sa section territoriale, le Parti démocratique de Guinée (PDG), vit le jour en 1947.
Son premier secrétaire général fut le Soudanais Madeira Keita ; le premier secrétaire guinéen fut Amara Soumah, auquel succéda Sékou Touré.
Entre-temps, profitant des brèches offertes par les résolutions de la Conférence de Brazzaville, des personnalités se présentèrent aux élections du Conseil général de la Guinée. Le 15 décembre 1946, à la 2ème circonscription (2ème collège) Amara Soumah se présenta en compagnie de Toure Fodé Mamadou, Sampil Mamadou, Toure Mohamed N’fa et Bangoura Karim.
C’est lors de ces élections que Conakry connu ses premières émeutes politiques, émeutes en faveur d’Amara Soumah. De cette époque, jusqu’à l’avènement de la Loi-cadre et la domination exclusive du PDG sur le champ politique guinéen, Amara Soumah fut conseiller général de Conakry, vice-président de l‘Assemblée territoriale de Guinée Marc Allegret (1er collège), étant président.
Amara Soumah joua un rôle essentiel dans la création du PDG et son animation, surtout à Conakry et dans toute la Basse-Guinée. II avait présenté Sekou Toure aux populations et aux chefs traditionnels. Un témoignage de ce dernier, délivré à un responsable du PDG, Sakho Mohamed, illustre cette complicité entre les deux hommes à l’époque : « Nous tenions nos réunions clandestines chez le grand frère [c’est ainsi qu’il appelait Amara Soumah]. Son épouse Maciré Yansané qui vient de décéder (témoignage fait en 1979], faisait le guet clans la rue en épluchant des oranges comme pour les vendre. Quand une personne suspecte se pointait à l’un des deux carrefours, elle entrait précipitamment pour nous avertir. Nous remballions nos documents et nous nous dispersions en nous faufilant à travers les maisons du quartier. »
Cette entente ne dura pas. Amara Soumah et d’autres rompirent avec le PDG, a l’instar d’un Mamba Sano. Ces leaders étaient ce que l’on pourrait qualifier aujourd’hui de modérés et/ou des traditionnels, à tort ou à raison. Ils allaient plus tard former le gros des opposants au PDG.
Amara Soumah participa, notamment avec Barry Diawadou, à la création du Bloc africain de Guinée (BAG). L’idée de ce mouvement avait été lancée en septembre 1956, en France et réalisée en octobre de la même année par des parlementaires dans le cadre du Congrès de regroupement des partis politiques et départements d’outre-mer. Le BAG se situait dans cette mouvance.
A côté de ces formations, ii faut mentionner la présence sur l’échiquier politique du Mouvement socialiste africain (MSA), dirige par Ibrahima Barry, dit Barry III, une émanation de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), dont le leader emblématique en Afrique noire était Lamine Guèye, le maire de Dakar.
Le PDG, grâce à son organisation, à son implantation, au charisme de son leader et aussi à ses méthodes (séduction et violence) allait cependant en quelques années phagocyter toutes les autres formations politiques. Certains de ses militants ensanglantèrent Conakry en 1957-1958 sous l’œil quasi-neutre de !’administration coloniale.
Le gouverneur général de l’AOF, Bernard Cornut-Gentil, marqué de près par Houphouët, leader du RDA, grand manitou a Paris, jouait les Ponce Pilate.
C’est à cette période qu’Amara Soumah, en mai 1958, a son troisième rendez-vous avec la mort. Malgré les pressions et les intimidations pour le faire revenir au PDG, ii se tint toujours sur ses positions. La pression ne suffisant pas, une nuit, les militants de choc du PDG, sous la conduite de Momo Sylla, dit Momo Joe, un homme élevé, nourri et protégé par Amara Soumah, attaquèrent la concession familiale et l’incendièrent avec l’objectif d’assassiner Amara Soumah. Ils le confondirent avec un homme qui fuyait, qui fut encerclé, ligoté et égorgé. Les hommes de main allèrent aussitôt faire leur compte rendu à qui de droit. Tout Conakry crut aussitôt qu’Amara Soumah était mort. Comment parvint-il alors à s’en sortir cette nuit ? A quitter sa maison en flammes et passer devant les hordes d’assassins qui bloquaient les deux extrémités des carrefours ? La vérité et la légende se mêlent pour expliquer ce salut. Parlons plutôt de miracle.
Ouvrons ici une parenthèse historique. A la fin des années 1940 et tout au long des années 1950, les populations guinéennes en général et celles de Basse Guinée en particulier, ont fait fi de leurs origines pour ne prendre en considération que le choix, le discours politique et le positionnement nationaliste de ceux qui voulaient leurs suffrages. Elles ne soutenaient pas quelqu’un parce qu’il parlait la même langue ou qu’il était de la même origine géographique. Mais tout simplement parce qu’elles croyaient à un discours et à une praxis qui devaient changer le pays de fond en comble et révolutionner leur quotidien.
Quand on songe qu’aujourd’hui, en 2008, cinquante ans après l’indépendance, les populations guinéennes vivent clans une ethnocratie, encouragée par le discours d’exclusion de certains leaders de partis, nous sommes en droit de parler d’une régression axiologique.
Amara Soumah, notable de Conakry et du Kaloum Baga, apparenté aux Soussous, a été combattu par ses frères et sœurs de langue et d’ethnie pour des raisons purement politiques. A l’époque le slogan dans la bouche des populations devait être : « La Guinée d’abord, la Guinée ensuite, la Guinée toujours. » Aujourd’hui c’est l’ego de soi qui prédomine et ce serait plutôt : « Moi d’abord, moi ensuite, moi toujours. »
Déçu, amer, Amara Soumah prit sa nombreuse famille, quitta la Guinée pour le Sénégal et réintégra la BIAO à Dakar. Pendant près d’un quart de siècle, lui et les siens bénéficièrent de la légendaire hospitalité sénégalaise : la teranga, avec ses deux corollaires, le kersa et le soutoura. Pour ne pas mettre en mal les difficiles relations sénégalo-guinéennes, ii se tint à l’écart de l’opposition, tout en gardant ses convictions qu’ils ne professaient qu’en privé. II rejeta les offres de réconciliation faites par Sékou Touré au nom « de nos luttes communes dans le RDA », de « Paix des braves », à !’occasion du premier voyage officiel du président guinéen à Dakar, dans un tête-à-tête à la résidence des hôtes de marque, au « Petit Palais » .
Amara Soumah ne donna suite à aucune de ces avances, contrairement à certains de ses compagnons d’exil com me David Tondon et M’bady N’Gamba Sylla. Les évènements lui donnèrent raison, quand on connait la fin tragique de certains de ces ralliés de bonne foi à la cause du pays.
Malgré son attentisme, mais ne se faisant aucune illusion sur l’évolution du régime, Amara Soumah ne fut pas surpris par les évènements tragiques du 22 novembre 1970 et ses conséquences.
L’agression portugaise fut l’occasion pour le régime du PDG de ratisser large et de mettre sous l’œil du bourreau les Guinéens de toute nature : opposants ou susceptibles de l’être, les fameux tiedes, à l’intérieur du pays comme à l’extérieur. Ce fut le quatrième rendez-vous d’Amara Soumah avec la mort, mais cette fois-ci à distance.
Comme l’écrasante majorité des exilés en vue en France, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, Amara Soumah fut condamné à mort par contumace par le Tribunal révolutionnaire.
Revenant de La Mecque, ii fut arrêté à sa descente d’avion à l’aéroport de Yoff. Ayant conservé la nationalité guinéenne, ii ne pouvait être éloigné loin de Dakar comme ceux qui avaient pris la nationalité sénégalaise, une sorte de mise en résidence à l’intérieur du pays. II ne pouvait pas non plus être livré à ses bourreaux à Conakry. Après quelques jours d’enfermement au commissariat central de Dakar, il fut expulsé vers la France.
Que lui reprochait-on à Conakry ? Le ridicule ne tuant pas, on l’accusa d’être un « membre actif du réseau SS français », injure suprême pour quelqu’un qui avait eu la médaille de la Résistance pour ses faits d’armes durant la guerre. On l’accusa d’avoir touché, « Comme salaire de la trahison », quelque 200 000 dollars à l’adhésion, et de recevoir 20 000 dollars d’émolument mensuel, le tout versé sur son compte en France.
Amara Soumah fut accueilli à l’aéroport du Bourget à sa descente d’avion un soir d’hiver 1971 par un de ses fils alors étudiant dans la capitale française. Celui-ci dit malicieusement : « Papa, tous les problèmes financiers vont se régler avec ton pactole déposé sur ton compte en France. » Amara Soumah lui sourit et répondit : « Tu as la preuve des accusations fantaisistes lancées par les autorités de Conakry. J’ai sur moi la somme de 45 000 F CFA comme viatique remise par tes mamans. » Amara Soumah fut pris en charge par ce fils, jusqu’à sa réintégration une fois de plus à la BAO, avenue de Messine à Paris, où il prit sa retraite en 1976.
Un an après, dans son petit appartement de locataire de la banlieue parisienne, le 10 février 1977, lors de son 67ème anniversaire, ii rédigea son testament dont on peut extraire ces quelques lignes : « Le grand jour est arrivé. Gloire à Allah, souverain suprême du jour du jugement dernier. Gloire au Prophète, notre intercesseur, humble serviteur. Je me rends pied et mains lies sans sursaut tout de piété et d’humilité et je voudrais consigner sur cette feuille manuscrite mes dernières volontés.
Je supplie, je demande instamment que, autant que faire se peut, une fois que ma mort sera rendue effective, ma dépouille mortelle soit enterrée à Kaporo, mon village natal. (. .. ) Toutefois, en cas d’empêchement, je souhaite que l’inhumation de mon corps ait lieu en dernière analyse à Dakar, au Sénégal, devenu ipso facto par la force des choses, ma terre d’adoption… » Le bon Dieu exauça ses vœux.
Rentrant en Guinée en 1984, Amara Soumah rendit un hommage vibrant à la mémoire de ses compagnons d’exil qui n’eurent pas sa chance, de retrouver la terre natale. Citons entre autres Diallo Sadou Bobo, Moussa Keita, Souley Sidibé, Camara Laye et David Soumah.
II fut un homme généreux, qui éleva et aida des centaines de Guinéennes et Guinéens, en Guinée, au Sénégal, en France. Y compris des parents d’adversaires politiques. « Si je suis aujourd’hui un lettré et si j’ai été un responsable de ce pays, c’est grâce à cet homme étendu devant nous. C’est lui qui m’aidait financièrement depuis les années 1950 et me fit octroyer une bourse pour aller faire mes études dans le monde arabe. », rappelle Cherif Nabanio un Hiérarque du PDG, ex-patron de ce parti opposant de Conakry, ii livra un témoignage poignant dans ce sens lors de ses obsèques le 9 juin 1989 dans la concession de son père.
Amara Soumah porta un amour profond à sa famille, en particulier à ses enfants qui le lui rendirent bien. Un jour à Gorée, où ii était interné, son fils ainé Mangué, qu’il eut très jeune « de son œuvre avec Elisabeth Pate, une métisse catholique de Conakry, lui amenant des provisions, vit un garde en train d’invectiver son père. II jeta le colis par terre au péril de sa vie.
La hiérarchie pardonna l’enfant au motif qu’il défendait son père.
Lors de son exil parisien, Amara Soumah connut la douleur de perdre son dernier enfant, sa fille Mafoulé, résidant à M’Bour au Sénégal. Ces deux enfants encadrent le souvenir de l’homme qui l’éleva et lui donna la chance, son oncle père Foulé Mangué, Mangue Soumah, fils de Mafoulé.
Almamy Soumah, diplômé de sciences politiques, philosophe et fils ainé d’Amara Soumah.
MATALANA