Cela fera bientôt deux (2) mois que les guinéens sont confrontés à d’énormes difficultés liées à l’exercice de leurs droits les plus fondamentaux. Plusieurs médias sont empêchés d’émettre pour « des raisons de sécurité nationale », selon le Comité National du Rassemblement pour le Développement qui a du mal à expliquer sa motivation. L’accès aux réseaux sociaux et à certains sites d’informations reste aussi bloqué.
Au-delà de cette censure, les guinéens connaissent également une crise de carburant depuis l’explosion du dépôt central d’hydrocarbures.
Dans une interview accordée à notre rédaction ce mardi 16 janvier 2024, le leader du parti Génération Citoyenne a passé au crible la crise qui secoue le pays.
Mosaiqueguinee.com: M. Soumah bonjour. Depuis quelques temps la Guinée est plongée dans une situation perplexe (ondes brouillées et l’accès à internet restreint) Comment expliquez-vous cette impasse à laquelle les guinéens sont confrontés ?
Fodé Mohamed Soumah : il faudrait poser la question aux autorités, car toute mesure devrait prendre en compte l’impact économique sur les populations et l’image du pays, même en situation d’extrême urgence. Tout est mis sur le dos de la sécurité intérieure, sans nous donner les tenants et aboutissants. Pendant ce temps, les dérapages se multiplient. L’emploi est menacé, l’administration roule au ralenti. L’équilibre de l’information a disparu. Tout est figé… Sans savoir combien de temps tout cela va durer ! Mais, plus personne ne peut orienter ni bâillonner l’information. Les faits sont têtus.
Le brasier survenu au dépôt des hydrocarbures du pays a provoqué une autre crise. Le carburant était devenu rare avant que des mesures ne soient prises par le gouvernement. Dites-nous ce que vous pensez de la gestion de cette crise ?
Gouverner, c’est prévoir. Donc, des mesures d’urgence auraient dû accompagner la conception du site, surtout que le dépôt se trouve à quelques encablures des habitations. Il y a tout un arsenal de suivi et de contrôle du tableau de bord pour le transport aérien, ferroviaire, électrique, gaz… Mais la réalité des faits montre que nous ne disposions même pas d’un protocole d’urgence, en cas de départ de feu par exemple. Des sanctions immédiates auraient dû tomber, en marge de l’enquête en cours. J’ai assisté à des scènes inimaginables et surréalistes. Le choc psychologique n’est pas près de retomber en attendant la délocalisation du site que je réclame depuis ma campagne présidentielle de 2010.
M. Soumah vous êtes économiste de profession, selon vous, quelles sont les conséquences directes ou indirectes de cette situation sur le plan économique ? Je veux parler de la censure de la presse et des médias sociaux, mais aussi de la rareté du carburant.
Les conséquences s’aggravent, car les autorités optent pour parer au plus pressé et naviguer à vue, plutôt que de trouver des solutions pérennes. La prospective, la transparence et les mesures idoines devraient donner une indication de sortie de crise. Pour l’heure, rien de rassurant. La presse est malmenée. Les restrictions liées à l’internet impactent l’administration et le secteur privé surtout. Les atermoiements autour de l’approvisionnement en carburant pourraient déboucher sur une hausse du prix à la pompe, avec des effets dévastateurs. Le manque à gagner est à tous les niveaux, car nous confondons gérer et gouverner.
Pendant ce temps, le respect du chronogramme de la transition devient une autre préoccupation. Est-ce qu’il faut craindre un glissement ?
Le rôle de la presse est de faire en sorte que ce terme de glissement ne soit pas d’actualité. Il n’appartient pas aux seuls politiques ou à la CEDEAO, même si je constate que le retour à l’ordre constitutionnel ne figure toujours pas dans l’agenda 2024 du CNT. Soyez sûre que le délai des 24 mois ne sera pas dépassé. Il y va de l’intérêt de tous.
Le gouvernement entend installer très prochainement des délégations spéciales au sein des mairies du pays. Qu’en pensez-vous ?
C’est une autre anomalie de cette longue période transitoire et un semblant d’opportunité pour les autorités qui ont attendu le terme des élus locaux pour les remplacer. L’un des projets phares de la GéCi tourne autour de la déconcentration de l’outil d’État et une véritable politique de la décentralisation, afin d’aller dans le sens du développement endogène. Le redécoupage administratif est incontournable. Les préfectures environnantes comme Coyah et Dubreka seront rattachées à la capitale économique Conakry. Celle politique sera au-delà des 100 kilomètres. Une capitale administrative serait envisageable. Il est temps que la Guinée voit grand.
M. Soumah quel plan avez-vous à proposer pour une sortie de crise ?
Le CNRD s’accroche encore à ses 10 points dont le seul recensement intégral, la nouvelle constitution et le referendum pourraient prendre plus de 2 ans. Comme j’ai eu à le dire depuis le départ, on pourrait amender la constitution de 2010 et réviser les listes électorales pour le referendum. Puis coupler les locales (candidatures indépendantes) et les Législatives réservées aux partis politiques. Enfin organiser la Présidentielle. Tout ceci aurait pu se faire entre 6 et 9 mois. Il est encore temps de rectifier le tir et d’apaiser le climat social, car la colère gronde. Il faut être aveugle et sourd pour ne pas l’entendre ou le sentir.
Votre mot de la fin !
C’est faire un clin d’œil à nos représentants à la CAN, pour renvoyer un peu de bonheur en ces moments difficiles. Je ne digère toujours pas le retrait qui est déjà aux oubliettes, Au-delà de l’aspect sportif, l’organisation de telles compétitions comporte des enjeux économiques énormes, y compris l’engouement populaire. Le Qatar ne pouvait même pas espérer passer le 1er tour (aucun match gagné). Mais il a organisé le plus beau Mondial à ce jour et capitalise ses investissements. Tout doit être fait pour que la Guinée organise la CAN 2030, après les deux prochaines éditions déjà octroyées. Tous mes vœux à vos collaborateurs.
Interview réalisée par Hadja Kadé Barry