Aux yeux de plusieurs défenseurs des droits de l’Homme, le milieu carcéral guinéen est comme un enfer.
Alors que la mort de plusieurs détenus politiques a fait la Une des médias ces derniers temps en Guinée, et a soulevé le débat sur les conditions de détention dans le pays, bon nombre de prisonniers anonymes meurent tous les ans, à l’insu du public, selon plusieurs activistes que nous avons rencontrés et écoutés à tour de rôle.
Le grand déballage des ONGs « Les Mêmes Droits Pour Tous » et « Avocat Sans Frontières »
« La question de la détention en République de Guinée a toujours été une préoccupation pour MDT. Depuis la création de notre organisation, nous travaillons de façon prioritaire en prison, pour apporter une assistance juridique ou judiciaire aux personnes qui sont en situation de détention illégale. C’est vrai que ces derniers moments, la situation est devenue préoccupante. Quand on regarde ces derniers mois, il y a des détenus politiques qui sont à la maison centrale et qui le plus souvent décèdent, c’est ce que nous voyons. Ça c’est la face visible de l’iceberg, alors qu’il y a des détenus moins connus qui décèdent dans l’anonymat sans que rien ne soit fait, pour endiguer cette situation-là. Donc, nous sommes vraiment préoccupés et indignés face à cette situation déplorable, de voir nos concitoyens mourir dans les prisons et surtout en situation de détention », a dénoncé d’entrée de jeu, Maitre Frédéric Foromo Loua.
« Nous sommes tous unanimes que les conditions de détention en Guinée laissent à désirer. Nos prisonniers sont dans un état vraiment lamentable, d’autant plus qu’on ne construit pas des maisons de détention. Celles qui existent datent depuis le lendemain de l’indépendance. Elles étaient construites pour trois cents (300) personnes. On y trouve plus, c’est compliqué. Franchement, c’est déplorable. Le détenu, c’est quelqu’un qui est en conflit avec la loi. C’est un être humain, il a droit à la vie, à la santé, à la nourriture… Donc un prisonnier, c’est quelqu’un qu’on veut corriger. Certes, il n’a pas la liberté d’aller et de venir, mais il a le droit d’être bien traité », a renchéri maître Christophe Labilé.
Le point de vue de l’OGDH :
En tant que défenseur des droits de l’Homme, nous sommes surpris qu’il ait une série de morts en un laps de temps. Déjà trois morts dans les mains de la justice. Des gens qui meurent alors qu’ils ne sont pas condamnés. Je crois que ça interpelle la justice guinéenne qui doit faire beaucoup attention, pour se mettre au service des populations et non au service d’un homme, ou d’un groupe d’individus. La mort de Roger Bamba par exemple, c’est un prisonnier politique. Qu’est-ce qu’il a fait si ce n’est que d’être membre d’un parti politique de l’opposition. El hadj Sow, qu’est-ce qu’il a fait si ce n’est que d’habiter un quartier militarisé, ou Lamarana Diallo. Je ne sais pas quelles sont les conditions, mais les détenus sont en train de mourir en série, et cela est révélateur de quelque chose. Le fait d’être privé de ses libertés, c’est déjà des conditions qu’on n’accepte pas », a dénoncé El Hadj Malal Diallo.
Des avis sur les allégations de torture et d’empoisonnement :
« Le cas que nous avons documenté, c’est celui d’El Ibrahima Sow. Ses enfants nous ont dit qu’il n’a jamais été souffrant de diabète. Ils nous ont montré des photos avec des sévices sur le corps. Ça, je peux dire qu’il a été torturé. La torture est condamnée. Même dans la fameuse constitution taillée sur mesure, la torture est interdite. Et, on se vante d’avoir aboli la peine de mort. Donc, ça leur donne l’occasion de tuer sans juger. Le cas de Lamarana, nous n’avons pas eu accès à la famille pour le moment. De même que le cas de Roger Bamba, où on parle d’empoisonnement. Je sais, ce sont des prisonniers politiques qui sont en train de mourir dans les mains de la justice et cela n’est pas honorable pour la Guinée », a fustigé le président de l’OGDH.
« Il faut préciser que la torture de façon générale ne se passe pas dans les prisons guinéennes. La torture, c’est pendant l’enquête préliminaire très souvent que les présumés responsables d’infractions sont torturés. Notamment dans les gendarmeries et les commissariats. Les détenus viennent maintenant fatigués. C’est le lieu de rappeler que la torture est proscrite de façon absolue, et la Guinée a même ratifié la convention des nations unies contre la torture. Et en 2016, lors de la réforme du droit pénal guinéen, le code pénal a pris en son sein les dispositions réprimant la torture conformément aux engagements internationaux. Donc, il est important que nos forces de défense et de sécurité notamment les officiers de police judiciaire, se mettent à l’idée que la torture est proscrite. Aucune justification ne peut être donnée à la torture. Ceux-là qui s’y livrent s’exposent à des poursuites judiciaires », a prévenu Maître Frédéric Foromo Loua.
Souvent taxé d’être silencieux face aux multiples violations des droits de l’Homme en Guinée, le président de l’INIDH sort du bois et demande l’ouverture d’enquêtes sérieuses, pour élucider les causes des cas de morts à la maison centrale.
« Nous avons appris avec regret ces cas de morts. Un mort déjà c’est trop! Même le simple fait de compter le nombre de morts c’est déjà anormal. Maintenant, la question, c’est de savoir dans chaque cas concret, qu’est-ce qui est arrivé. Il faut vérifier si le concerné a été arbitrairement ou légalement détenu, ensuite regarder le dossier médical de l’intéressé, regarder le certificat médical qui a été délivré par les médecins. Seuls les médecins, dans les mains desquels le décès est survenu peuvent informer le public sur les véritables raisons de la mort d’un individu.
Maintenant, nous sommes en matière de droit, les uns défendent les personnes qui sont décédées, d’autres défendent l’État. Nous, notre rôle, c’est la neutralité archéologique. Seule une enquête menée et qui répond d’un point de vue logique, à l’ensemble de ces questions, pourrait nous permettre de savoir où est la responsabilité. Et souvent, les gens se défendent mal. Il faut porter une plainte pour qu’on sache s’il y a responsabilité pénale des agents en charge de ce service, où s’il y a responsabilité civile de l’État, soit pour faute ou pour risque. Si on ne clarifie pas les choses, demain encore quelqu’un d’autre va mourir, peu importe son nom de famille, ça sera un guinéen. Dans la République, il y a des organes chargés des tâches qui sont spécifiées. Le problème, c’est que c’est une sorte d’incivisme, même de ne pas faire confiance aux organes de l’État. Il faut qu’il y ait une enquête pour qu’on sache la vérité. Faire de l’amalgame et accuser tout le monde, ça ne nous permet pas d’avancer. Je ne suis pas dans cette logique », a martelé Dr Alya Diaby au micro de Mosaiqueguinee.com.
Détention provisoire abusive, cet autre facteur qui favorise le surpeuplement au sein des maisons d’arrêt:
Maitre Christophe Labilé de l’ONG ASF :
La problématique de la détention provisoire prolongée est une réalité dans notre pays. Ces cas sont emblématiques, parce qu’il y a eu des cas de morts, et ce sont des prisonniers politiques, mais si vous allez dans les maisons d’arrêt, il y a des personnes qui sont en détention préventive depuis plus de cinq (5) ans. C’est déplorable! C’est une violation de leurs droits! Le mandat de dépôt doit être de quatre (4) mois renouvelables une seule fois, en matière correctionnelle. En cas de crime, c’est six (6) mois renouvelables une seule fois. Ça veut dire que quelqu’un qu’on poursuit, pour avoir commis un crime ne doit pas être en détention préventive de plus de 12 mois, sans être jugé. Il arrive le plus souvent dans certains cas, après jugement, la personne est innocentée après avoir passé un (1) an, deux (2) ans, trois (3) ans ou quatre (4) ans en prison. Donc, il faut appeler à ce que les gens puissent être jugés, dans un délai raisonnable. Malheureusement en Guinée, toutes les personnes qui sont en conflit avec la loi, les premiers actes que nos juges d’instruction posent, c’est le mandat de dépôt. Ce qui n’est pas normal. C’est ce qui fait que nos lieux de détention sont engorgés de façon inutile.
Dr Alya Diaby président de l’INIDH :
Le problème, ce qu’il faut dire aux juges d’instruction de ne pas systématiquement placer des personnes accusées d’infractions sous mandat de dépôt. C’est-à-dire, il faut quand même laisser les individus en liberté, tant que c’est possible, jusqu’à ce qu’ils soient jugés et que leur culpabilité soit établie devant une juridiction régulièrement constituée, et statuant selon les règles du procès équitable. Cela règle même le problème de la surpopulation carcérale, qui a été notée dans les rapports de notre organisation. Donc, nous sommes informés de ce qui se passe, l’essentiel c’est de veiller à ce que notre prison soit civilisée. Tout le monde sait que nos prisons notamment la maison centrale sont surpeuplées.
C’est de prendre des dispositions pour désengorger les prisons notamment la maison centrale de Conakry, pour essayer d’autres mesures alternatives à l’emprisonnement. De mon point de vue, les droits de l’Homme se porteront mieux.
Maître Frédéric Foromo Loua « les Mêmes Droits pour Tous »
Il faut que cela s’arrête! Nous interpellons les autorités notamment le ministère de la justice de faire en sorte que les détenus soient jugés, et surtout nous pouvons libérer ceux dont la détention n’est pas justifiée dans les prisons guinéennes.
Nous avons des militants pro-démocratie, des acteurs de la société civile et des hommes politiques qui sont en prison. Donc, il est important que le système judiciaire puisse quand même prendre la gravité de la situation, pour juger certains rapidement, ceux-là qui peuvent l’être, mais aussi libérer tous les détenus dont la détention n’est pas justifiée, en vue de pouvoir lutter contre cette surpopulation carcérale qui prévaut actuellement, à la maison centrale de Conakry.
Outre le surpeuplement en milieu carcéral, le système de santé établi à la maison centrale de Conakry est défaillant, selon le président de l’ONG « Les Mêmes Droits Pour Tous ».
« Les détenus se plaignent du manque de médicaments. La dernière fois, j’ai échangé avec un détenu qui me disait que quand tu vas à l’infirmerie, le seul produit qu’on te donne c’est le Paracétamol. Ce médicament peut lutter contre quelle maladie, lorsque nous sommes en face des cas de fièvre typhoïde, de palu ou d’autres maladies? En plus de juger et de libérer ceux-là qui peuvent l’être, il faut que l’État trouve les médicaments de base aux différentes infirmeries, qui peuvent permettre de soigner les détenus. Et surtout que le système judiciaire accepte d’évacuer vers les structures sanitaires des détenus dont l’état de santé justifie. Il ne faudrait pas qu’on garde un détenu malade et qui ne soit permis de rejoindre une structure hospitalière que lorsqu’il est maintenant aux portes de l’irréparable.
On ne va pas en prison pour y mourir, mais plutôt parce que la société nous reproche une infraction. Ce à quoi nous assistons véritablement, n’est pas de nature à donner une belle image à notre pays, à rassurer et à renforcer le système judiciaire », a-t-il estimé.
« Il faut rappeler que la Guinée au cours de ces dernières années a été accompagnée par la communauté internationale, notamment pour réformer son système judiciaire et son système de défense et de sécurité. Il est donc urgent, que ces deux entités (le système judiciaire, les forces de défense et de sécurité) répondent aux attentes voulues par les bailleurs de fonds, lorsqu’ils avaient décidé d’accompagner la Guinée », a invité maître Frédéric Foromo Loua.
Ces organisations de défense des droits de l’Homme en Guinée, interrogées par la rédaction de mosaiqueguinee.com ont toutes plaidé pour l’applicabilité des textes de loi, en matière d’incarcération.
Réalisation : Hadja Kadé Barry