Il y a exactement un an que le CNRD du Colonel Mamadi Doumbouya provoquait une alternance inattendue au sommet de l’Etat Guinéen en renversant le régime du RPG-ARC-EN-CIEL du président Alpha Condé. En plus de 60 ans d’indépendance, ce coup d’état du 5 Septembre constitue la 3ème irruption des Hommes en treillis sur la scène politique Guinéenne après celles du 03 avril 1984 avec le CMRN du Colonel Lansana Conte et du 22 décembre 2008 du Capitaine Moussa Dadis Camara. La Guinée, malgré ces 3 coups de force à intervalle d’ailleurs longue, est réputée comme l’un des pays les plus stables dans une sous-région ouest africaine malheureusement confrontée à de multiples épreuves de gouvernance.
Ainsi, ce coup de force perpétré par le corps anti terroriste de l’armée nationale (les forces spéciales) avait surpris la plupart des observateurs de la scène politique africaine et internationale. La surprise était d’autant grande que la principale mission confiée à cette unité d’élites, constituée quelques années auparavant, était également de garantir la stabilité et la pérennisation du régime Alpha Condé qui venait de s’adjuger un 3ème mandat de 6 ans au terme d’une farce électorale émaillée de violences sanglantes et de destruction de biens privés et publics en octobre 2020. C’est donc dans ce contexte marqué d’ivresse profonde du pouvoir et d’insouciance totale où tout souci de coup de force ne semblait pas être à l’ordre du jour, que vint le 5 septembre 2021, jour où les forces spéciales à l’instigation de leur commandant en chef, le Colonel Mamadi Doumbouya mirent fin au petit matin au régime du Président Alpha Condé. Ce jour là, le destin de la Guinée se joua une fois de plus en basculant à nouveau,13 ans après le deuxième coup de force de décembre 2008, dans un régime d’exception, une nouvelle aventure militaire comme les précédents vers une issue politique impossible à prédire. Notons cependant, comme indiquer plus haut, depuis le 05 septembre 2021, 12 mois se sont déjà écoulés, mais la Guinée est toujours dirigée par une junte avec à sa tête, le Colonel Mamadi Doumbouya qui s’est adjugé de tous les pouvoirs politiques et militaires (Président de l’organe dirigeant, le CNRD, Président de la Transition, Chef de l’État, Commandant en Chef des Forces Armées.)
Dans ses premières déclarations, la junte s’est engagée à refonder l’État, à promouvoir un État de droit et la bonne gouvernance vertueuse débarrassée des tares qui l’avaient marqué sous le régime déchu du Président Alpha Condé. Elle a surtout pris l’engagement solennel de mettre fin au système de justice aux ordres pour en faire la boussole de la vie politique et sociale afin d’impulser le développement économique et une vraie démocratie que la Guinée et les Guinéens réclament. Un an après ces vœux pleins de bonnes intentions, il me paraît opportun de jeter un coup d’œil rétrospectif sur le chemin parcouru, voir si les engagements pris, si les espoirs suscités à la prise du pouvoir par les militaires le 5 septembre 2021 ont tenu la promesse des fleurs. Pour ma part, je relève que le CNRD pour réaliser ces engagements a posé de nombreux actes et ouvert plusieurs chantiers à une cadence et un rythme sans précédent dans l’histoire des reformes politiques et administratives entreprises en Guinée. Le 5 Septembre 2021, en ce sens, fut une véritable révolution, tant au plan institutionnel qu’administratif. Au plan institutionnel, le CNRD, après avoir suspendu la constitution, abolit les institutions existantes, a fait élaborer et promulguer une Charte qui tient lieu de Loi fondamentale pour Gouverner la période Transitoire. Ce processus très important mené par le CNRD n’a malheureusement pas connu la participation effective des acteurs politiques et sociaux. Au plan institutionnel, le CNRD a décidé et mis en place un organe législatif baptisé CNT ( Conseil National de la Transition) dont le nombre et la répartition des sièges entre les acteurs politiques et sociaux ont été définis par le gouvernement tout seul (ministère de l’administration territoriale ) sous l’égide du CNRD sinon du Colonel Mamadi Doumbouya, lui-même. Si la mise en place de cet organe important de la gestion de la Transition concrétise la volonté du CNRD, des observateurs estiment que sa composition sans concertations réelles, est loin d’être le reflet du paysage politique du pays, qu’elle n’a pas tenu compte du poids et de l’audience des formations politiques sur le terrain au sein de la société avant l’avènement de ce pouvoir militaire.
Mais, comme toute Révolution, ces facteurs semblent négligeables pour les refondateurs constatant que les élections toujours sanglantes en Guinée ont rarement reflété la réalité des votes. La réforme de l’administration, une action essentielle qui constitue la pierre angulaire de ce processus de refondation, menée par le CNRD s’est imposée très tôt comme une étape importante et nécessaire.
Aussi, les actes posés par le CNRD et qui participent à l’atteinte de cet objectif furent d’une ampleur sans précédent. La mise à la retraite massive de milliers de fonctionnaires et des agents des forces armées et de sécurité. Quoique justifiée, cette opération de grande envergure a été menée de manière foudroyante dans la mesure où elle a conduit et contraint de nombreux fonctionnaires âgés à faire valoir leur droit à la retraite sevrant du coup et abruptement l’administration de mains expertes de grande compétence et de brillants cerveaux pétris d’expériences plus que jamais utiles au moment où est initiée la refondation. L’un des avantages de l’opération, en libérant des postes de travail, a été d’ouvrir des perspectives de recrutement au profit de nombreux jeunes, longtemps au chômage, à la fonction publique. Mais, cette bonne initiative a été parfois travestie par le manque de transparence et d’égalité de chance pour tous les prétendants probables. Mais, il est réjouissant de constater que de nombreux jeunes ont pu trouver un premier emploi.
En plus de cette action, le CNRD a également posé d’autres actes dont l’objectif était de conférer plus de qualification et d’efficacité à l’administration à l’effet de la rendre plus vertueuse Le secteur du patrimoine immobilier de l’état caractérisé par une mauvaise gestion a donné lieu à de vigoureuses actions de récupération qui ont été immédiates et féroces exécutées parfois en dehors des règles de droit. Elles ont visé exclusivement des bâtiments appartenant à l’état et occupés depuis longtemps par des anciens dignitaires des régimes successifs et des fonctionnaires retraités qui avec la complicité d’agents et responsables du secteur s’étaient indûment et définitivement appropriés ces édifices du patrimoine immobilier de l’État. Les opérations de récupération ont aussi comporté le dégagement des emprises des voies publiques occupées illégalement par des étalagistes et vendeurs ambulants. Ces opérations bien que musclées étaient nécessaires, dans la mesure où ces occupations anarchiques absolument illégales constituent des obstructions à la libre circulation sur les voies expresses. Ces opérations absolument nécessaires doivent être poursuivies, la pause observée pendant la saison des pluies ne doit pas annoncée leur fin.
Dans l’ensemble, les opérations de récupération des bâtiments et domaines de l’Etat sont largement justifiées même si on peut déplorer le fait que leur conduite sur le terrain se soit effectuée dans des délais extrêmement courts non conformes aux clauses des baux administratifs. Dans le cadre de la refondation, mission essentielle de sa feuille de route, le CNRD a engagé une véritable croisade contre les maux qui ont gangrené la gouvernance en Guinée depuis de nombreuses années comme la corruption, les détournements de deniers publics, le blanchiment à l’effet de moraliser la gestion de la chose publique. Pour éradiquer ces fléaux, le gouvernement sous la houlette du CNRD s’est doté d’un nouvel instrument nommé la CRIEF (Cour de Répression des Infractions Économiques et Financières). Première du genre en Guinée, sa création a été saluée et bien accueillie par la population.
La principale mission assignée à ce nouvel organe porte sur la répression des crimes économiques dont se rendent coupables certains agents indélicats de l’état dans l’exercice de leur fonction. Ainsi, dès le lendemain de sa création, la CRIEF a lancé une vaste opération qui a aboutit à de nombreuses inculpations à l’issue de laquelle des arrestations ont été opérées notamment parmi les anciens dignitaires du régime déchu par le CNRD. Les procédures concernant ces inculpés sont en cours. Certains cependant sont déjà incarcérés à la maison centrale de Coronthie sous mandat dépôt. Le fait qu’à ce jour, la plupart des hauts cadres inculpés soient d’anciens dignitaires du régime défunt suscite tout de même quelques interrogations et inquiétudes sur le caractère impartial des poursuites engagées par la CRIEF. Bien que ces doutes et états d’âmes n’entachent en rien son caractère utile dans le cadre de la refondation, il est indispensable que la nature impartiale et non orientée de ces poursuites soit évidente. En outre, il serait aussi important que le caractère non discriminatoire de ces poursuites soit également affiché et affirmé afin que l’opinion qui observe soit rassurée sur le fait que les poursuites ne sont nullement orientées encore moins dirigées. Le discours officiel cependant semble clair : les poursuites ne visent pas uniquement les anciens dignitaires, mais tout agent ayant commis à un moment ou un autre de sa gestion de la chose publique des infractions graves aux règles de bonne gouvernance financière et économique. Même les infractions commises sous le règne actuel du CNRD sont concernées. Pour ce faire, il importe d’accélérer l’instruction des dossiers et organiser les procès des personnes mise en cause afin de rassurer l’opinion que la Justice est effectivement la boussole de la Transition et non un instrument aux ordres ou au bon vouloir du CNRD. Ça permettra également de dissiper la suspicion qui indexe la CRIEF comme une arme aux mains du CNRD chargée d’écarter quelques acteurs politiques déjà ciblés dans la course à la prochaine présidentielle. En outre la mise en place des démembrements de la CRIEF au niveau des Régions administratives contribuerait à renforcer davantage l’objectif de lutte contre les crimes sur toute l’étendue du pays. La création des démembrements de la CRIEF au niveau des Régions serait la concrétisation, l’illustration de l’engagement du CNRD à moraliser la gouvernance sur toute l’administration y compris l’administration déconcentrée et territoriale à l’intérieur du pays mais pas uniquement à la circonscrire à la capitale uniquement si importante soit elle.
En outre, la création d’un ministère chargé du contrôle dont l’action se situera en amont de celle dévolue à la CRIEF (la répression des crimes économiques et financières) apportera plus de d’efficacité et de célérité dans l’instruction des dossiers d’infractions préalablement constitués après des enquêtes minutieuses approfondies par ce dernier. Ainsi, les suspicions d’impartialité dont la CRIEF est souvent accablée ne sauraient être désormais évoquées ou brandies dans la mesure où les accusés auront été intimement associés du moins impliqués largement dans les procédures enclenchées à leur encontre dès le début des enquêtes ayant conduit à leur inculpation Cette séparation des missions entre ministère chargé du contrôle (a créer)et de celle de la CRIEF sera garante de l’atteinte de l’objectif moralisation de l’administration Guinéenne. Au plan politique, l’euphorie de la prise du pouvoir une fois évaporée, des incompréhensions et des tensions sont vites réapparues dans les relations entre les nouveaux gouvernants et certains acteurs politiques et sociaux. La bonne entente et confiance du début de la Transition entre le CNRD et les forces vives ont commencé à s’ébranler lors de l’attribution des sièges au CNT. Les divergences ainsi nées se sont ensuite cristallisées voire aggravées au fil du déroulé de la Transition autour des questions concernant les modalités et le format du dialogue entre les différentes parties. Pour les forces vives, du moins pour certaines d’entre elles, il faut créer un cadre qui offre à l’ensemble des acteurs politiques et sociaux, la possibilité de participer effectivement à la conduite de la Transition vers un régime constitutionnel par le biais d’un dialogue inclusif et apaisé. Malgré les demandes insistantes formulées, le CNRD, par rapport à ces points, est demeuré sourd voire intransigeant jusqu’à l’heure actuelle, si bien qu’aucun compromis ne se dessine pour l’instant sur cet aspect important du processus de Transition ainsi que d’ailleurs sur les autres questions subséquentes à savoir sa durée et son contenu. L’absence d’ouverture a entraîné de facto l’exclusion ou le boycott du dialogue par certaines formations politiques en cours. Les désaccords persistants ont fini par amplifier une véritable crise politique que la récente dissolution du FNDC, l’interdiction des manifestations, les rappels fréquents des journalistes à plus de respect de la déontologie ont exacerbé. Cette atmosphère a favorisé un malaise social profond prélude à une crise socio politique La médiation entreprise à cet égard par la CEDEAO, dont l’implication avait été de prime abord récusée au motif que la Guinée ne serait pas en crise, constitue dans ce bras de fer le dernier espoir pour instaurer un dialogue participatif avec les autres acteurs non étatiques afin de définir de manière consensuelle et inclusive les paramètres d’une Transition apaisée et réussie. Au plan économique, la situation post Alpha Condé est demeurée la même malgré les préoccupants changements annoncés dans le quotidien des populations. Ces difficultés sont principalement dues au déclin des investissements directs étrangers en Guinée et à la faiblesse de la mobilisation de l’aide étrangère nécessaire au soutien à la croissance économique. De ce point de vue, il faut souligner que la survenue d’un coup d’état dans un pays, provoque assez souvent la réticence des milieux d’affaires. Elle exaspère et inquiète en outre les bailleurs de fonds, les partenaires au développement qui s’abstiennent généralement de poursuivre les programmes d’assistance sous ces régimes d’exception. Elles observent automatiquement une trêve aussi prolongée que l’ordre constitutionnel ne sera pas rétabli pour leur permettre de poursuivre l’aide au développement au pays en question. Il n’est pas exclu que la Guinée ait été victime de ce phénomène qui probablement peut s’étendre sur toute la période Transitoire. Cette situation, compte tenu de la forte dépendance de l’économie Guinéenne, expliquerait la faiblesse actuelle si faiblesse il y a dans la mobilisation de l’aide extérieure complément nécessaire aux ressources budgétaires locales généralement insuffisantes pour faire face aux différents programmes de développement socio-économiques. Cette situation conjuguée avec la mauvaise conjoncture économique internationale (crise du pétrole, guerre en Ukraine…etc) a induit le ralentissement actuel de l’activité économique. Par ailleurs, les quiproquos et retards accusés dans les négociations avec le groupement Rio Tinto – Chine avant l’accord récemment conclu pour l’exploitation des gisements de Nimba a douché aussi les perspectives d’investissements dans les secteurs miniers et dans les autres secteurs de l’économie. Ces situations ont entraîné un accroissement considérable du chômage à l’échelle nationale. Au demeurant, on observe aucune visibilité dans la politique économique du CNRD. Aucune Déclaration de Politique Générale n’a encore été faite par le gouvernement depuis sa mise en place. Cette interminable attente depuis la prise du pouvoir par le CNRD a accentué le manque de visibilité évoqué sur la politique économique du gouvernement et accentué également les reports en matière d’investissements et d’aides du fait de l’absence d’indications sérieuses quant aux axes d’intervention prioritaires retenus dans le cadre de la refondation et fait planer des incertitudes sur l’économie Guinéenne. Au plan social, l’accroissement du chômage, suite au tassement des investissements d’une part et de la crise économique internationale d’autre part, a entraîné une baisse du niveau de vie, du bien-être des populations. La confiance de ces populations en ses nouvelles autorités du CNRD pour combattre la pauvreté et promouvoir un développement économique partagé a pris un coup à défaut d’être dégradée par l’épreuve des réalités de l’exercice du Pouvoir. Forcément, la côte de popularité du Président du CNRD, le Colonel Mamadi Doumbouya au plus haut le 05 septembre 2021en récent les effets.
En conclusion, il ressort de cette revue que si la prise du pouvoir de septembre 2021 a suscité d’immenses espoirs et joies au sein des populations Guinéennes partout sur l’ensemble du territoire national, les difficultés rencontrées depuis dans le cadre de ce processus de la refondation en cours soulèvent interrogations et inquiétudes de plus en plus fortes. Les populations qui aspirent à une rapide amélioration de leurs conditions de vie manifestent leur impatience et attendent du CNRD des actions vigoureuses en vue de l’émergence d’une Guinée plus prospère et plus démocratique que sous le règne du Président Alpha Condé. Le CNRD, par conséquent et grâce à l’appui de la CEDEAO doit plus que jamais associer l’ensemble des acteurs à la conduite de cette difficile Transition menée dans un environnement complexe et marqué par une crise internationale aiguë.
La participation de tous les acteurs doit être un fait et non un slogan creux afin de mettre fin à la crise politique qui secoue la Guinée dans l’intérêt de la Guinée et des Guinéens qui ambitionnent un pays de paix, stable et démocratique engagé dans la voie du développement et de la prospérité pour toutes ses filles et tous ses fils.
Djigui Camara
Ancien ministre de la Coopération internationale