Bien qu’elle soit « Château d’eau de l’Afrique de l’Ouest », en raison de l’abondance de ses ressources en eau, la Guinée peine encore à tirer pleinement profit de cette richesse naturelle. A cause de la faible mobilisation et de valorisation de ses ressources, d’une faible protection pour satisfaire les besoins socio-économique et environnemental, et du sous-investissement dans les infrastructures d’eau, de la capacité opérationnelle limitée des fournisseurs de services d’eau et du faible recouvrement des coûts des services d’eau.
Créée par décret présidentiel D/2001/096/PRG/SGG du 18 décembre 2001, la Société des Eaux de Guinée (SEG) est chargée de la gestion du patrimoine, de l’exploitation, de l’entretien, de la réhabilitation, du renouvellement et du développement des installations d’hydraulique urbaine. Au départ, elle devrait fournir des services d’approvisionnement en eau potable à une trentaine de chefs-lieux de préfectures, dont Conakry. En Guinée, la problématique de gestion des ressources en eau demeure encore une impérieuse nécessité, en tenant compte de certains constats dont entre autres : l’absence d’un Plan national de gestion des ressources en eau des bassins hydrographiques nationaux et partagés ainsi que des systèmes aquifères du pays ; l’absence de Schémas directeurs nationaux d’aménagement et de gestion des ressources en eau selon une approche par bassin hydrographique (groupés ou non ; le faible capacité de planification de la gestion des ressources en eau par les structures techniques en place.
L’année 2022 a été une année charnière pour la SEG, marquée par l’avènement d’une nouvelle équipe à la tête de la Direction générale. Ce qui a permis de donner un nouveau souffle à l’entreprise. Tout d’abord elle s’est attelée à rétablir la confiance entre l’ensemble des travailleurs et partenaires et les consommateurs clients de la société publique.
Faire de la SEG «une entreprise émergente et performante à la satisfaction de sa clientèle qui fournit de l’eau potable en quantité et en qualité à la population à l’horizon 2027», c’est la vision de M. Aboubacar Camara, Directeur général, depuis février 2022. Cette ambition a conduit à l’élaboration d’un Plan de transformation stratégique dénommée «NEMA (Notre Eau Maîtrisée Accessible)» qui s’articule autour de cinq objectifs stratégiques : réduire les pertes physiques et commerciales ; développer les ventes ; innover techniquement, commercialement et socialement ; gérer les risques et améliorer la satisfaction et l’expérience client.
Etat des lieux
La SEG couvre la région de Conakry et 27 villes de l’intérieur du pays. Le taux d’accès global des populations urbaines en Guinée à l’eau potable, à travers les réseaux de la SEG, est de 31% (dont 40% à Conakry et 26% dans les villes de l’intérieur) en 2020. La SEG compte aujourd’hui 150 000 abonnés dont les 80% sont dans la zone de Conakry. Les sources en eau sont menacées. Les installations de la
SEG sont vétustes et n’ont pas été rénovées depuis plus de vingt ans, causant des fuites. La moitié de l’eau produite est perdue (à cause des fuites et des fraudes). Le déficit en eau crée une réelle crise et implique une difficulté d’accès à l’eau pour certains habitants. Pour répondre à ce déficit, l’entreprise étatique est obligée de faire recours à un planning de rotation.
Les pourcentages de facturation (volume facturé/volume distribué) sont très faibles. Seuls 32% des abonnés sont facturés.
Les faibles taux de facturation et de recouvrement impactent directement le chiffre d’affaires de la SEG et sa capacité à honorer ses engagements vis à vis de ses employés, fournisseurs et partenaires. Le prix de l’eau n’a pas augmenté depuis 1994 et est fixé par les ministères de tutelle dans le cadre du contrat plan. Les grilles tarifaires sont très basses et ne permettent pas de couvrir les frais de production et exploitation.
Des réformes courageuses
Pour changer la SEG, les initiatives ne manquent pas au directeur général. M. Aboubacar Camara compte sur des réformes comme la valorisation du capital humain ; la mise à jour et respect des procédures et processus de la SEG ; l’informatisation, la dématérialisation et la digitalisation ; la mise en place d’un dialogue sociale avec les populations et amélioration des relations avec les clients ; de nouveaux modes d’abonnements et de paiement des factures ; l’acquisition d’un système d’information géographique ; la construction et accréditation du laboratoire central de la SEG ; la refonte des achats ; l’amélioration de la communication interne et externe ; l’amélioration et gestion du patrimoine et de l’environnement ; la réduction des fuites sur les canalisations et surtout sur les branchements, qui représentent probablement plus des trois quarts des pertes technique ; la lutte contre les fraudes et les vols d’eau et la fiabilisation du fichier des abonnés.
Après un an de gestion, on peut mettre ces quelques actions à son compte : l’achèvement et la mise en service des nouvelles infrastructures d’eau potable des villes de Gaoual, Lélouma et Tougué ; la finalisation des travaux d’adduction d’eau à Lola et Yomou ; le renforcement en urgence de la desserte en eau potable des villes de Kankan et de Kouroussa ; la vaste campagne de réduction des pertes techniques et commerciales (réparation des fuites et destruction des branchements frauduleux), ainsi que la détection de plus de 2000 cas de fraudes ; le démarrage de la pose des compteurs au niveau des clients de l’administration sur instruction du chef de l’État ; la campagne de pose systématique de compteurs au niveau des clients privés où 80% des clients sont facturés au forfait ; la mise en place de la biométrie des agents de la SEG pour l’amélioration du système de santé du personnel ; la revalorisation des primes et autres acquis sociaux des employés ; le doublement des indemnités de départ à la retraite pour les employés de la SEG de 12mois à 24 mois ; la mise en place d’un nouveau logiciel de gestion clientèle et d’infrastructures réseaux ; l’évaluation des besoins de réhabilitation et de renouvellement pour la sécurisation de la production d’eau potable dans les 26 centres de la SEG ; l’achèvement du projet de renouvellement des conduites principales de transport d’eau traitée pour la ville de Conakry ; la normalisation des branchements en spaghettis à travers la pose d’antennes de distribution ; l’organisation d’une campagne de recensement porte à porte à l’agence de Dixinn ; l’organisation de campagnes de recouvrement des impayés à l’agence de Yimbaya ; la mobilisation des ressources financières pour le développement du secteur. La liste des acquis n’est pas exhaustive.
Des difficultés
Les nombreuses difficultés sur les plans technique, logistique, commercial et financier constituent le talon d’Achille de la SEG.
Sur le plan technique, ce sont le faible taux de desserte ; la vétusté des installations de production d’eau ; la vétusté des réseaux de distribution ; le non-respect du programme de maintenance ; la dégradation de la qualité de service ; l’envahissement des zones de protection sanitaire des forages et des emprises des conduites de transport et de distribution ; le piquage irrégulier sur les conduites de transport et de refoulement.
Sur le plan commercial, ce sont la faible capacité de paiement de la clientèle ; le taux de fraude très élevé (clandestinité, by pass) ; la présence sur le terrain de techniciens non autorisés (bénévoles) réalisant la remise des clients coupés pour impayés, les dépannages frauduleux, etc… Sur le plan financier, ce sont le niveau de tarification très bas ; le retard et parfois le non-paiement des factures de l’administration ; le taux d’inflation élevé et le niveau d’endettement très élevé ; la flambée des prix des produits pétroliers.
Sur le plan logistique, ce sont le non-renouvellement des véhicules amortis ; un parc automobile très vieillissant ; les coûts de réparation des véhicules très élevés.
Les dégâts sur les installations
Le ministère des Infrastructures et des Travaux publics, à travers la Direction nationale des infrastructures et l’Agence de gestion des routes (AGEROUTE), a entrepris des travaux de construction et de réhabilitation des routes urbaines. Si ces travaux sont salués par tous, ils ne sont pas sans conséquences sur les installations de la SEG qui sont endommagés, privant ainsi plus de 30 000 personnes de l’eau, selon la SEG. Interrogé, le Directeur général de l’AGEROUTE reconnaît les impacts négatifs des travaux de construction des routes sur les installations. Mais il affirme avoir adressé un courrier à la SEG ainsi qu’aux autres structures comme l’EDG, l’ARPT, la Guilab et la SOGEB pour que chacune lui transmette la cartographie de ses installations pour permettre aux entreprises des TP d’assurer la protection des différentes installations.
Parce que la réparation des dommages causés entraîne des financements supplémentaires à l’Etat, alors que toutes ces entités travaillent au compte de cet Etat.
Les perspectives
Au regard des ambitions du Directeur général, Aboubacar Camara, on peut dire que les perspectives sont bonnes pour la SEG. En matière de production et de réseau, M. Camara compte renforcer la préparation, la valorisation et la modalité de déploiement des nouveaux outils type compteurs intelligents ; doter le laboratoire central de la SEG de matériels/personnels nécessaires pour obtenir les certifications, en qualité d’eau et équiper la Direction également de laboratoire mobile pour les villes de l’intérieur.
Dans le cadre de l’exploitation, c’est de réserver la réalisation des branchements uniquement aux équipes dédiées pour éviter les mauvaises installations créant des fuites et favorisant les fraudes ; de recentrer les activités Grands comptes au niveau de la direction en charge des Grands comptes (Abonnement, gestion, recouvrement, …). Pour la maintenance, on peut citer : prévoir et lancer un programme de renouvellement du réseau de production et distribution de l’eau (infrastructures, canalisations, structure de comptage).
Pour la dématérialisation, la numérisation et la digitalisation : définir un schéma directeur système d’information (SDSI) à court, moyen et long terme ; acquérir de nouveaux logiciels pour rationaliser automatiser et simplifier le travail de certaines directions : (ex : DRHF, DMG, …) ; renouveler certaines licences de logiciels et acquérir des nouveaux modules pour exploiter au maximum les apports de ces logiciels (ex : SAGE, …).
Pour changer l’organisation et les méthodes de travail : créer un corps d’inspecteurs terrain, en complément une structure de gestion des projets transverses en charge du pilotage des projets de transformation de l’entreprise ; renforcer la planification, la préparation, la valorisation et la modalité de déploiement des nouveaux outils.
Le Directeur Général de la SEG prévoit poursuivre avec l’accompagnement de l’Etat et de ses partenaires techniques et financiers (PTF) entre autres : l’amélioration des indicateurs de performance par le relèvement du ratio de facturation, du taux de recouvrement et du rendement technique ; la poursuite de la distribution d’eau à travers les citernes d’eau dans les quartiers défavorisés ; la poursuite des projets en cours avec la Banque Mondiale et l’AFD ; la réalisation des études APS et APD d’AEP des villes de l’intérieur suite à l’obtention du schéma directeur de ces villes sur financement de l’AFD ; la réalisation des schémas directeurs des
villes de l’intérieur ; la réalisation du schéma directeur du Grand Conakry ; la réalisation des études tarifaires et de modèle financier de la SEG permettant d’avoir une lisibilité sur l’équilibre financier du secteur.
Pour M. Aboubacar Camara, le 4ème Projet Eau du Grand Conakry est la seule solution pour lutter durablement contre la prolifération des forages domestiques à Conakry. Il est la solution à la situation de pénurie d’eau qui sévit à Conakry. Il ne coûte que 1,6 milliard de dollars US et devrait couvrir, à Conakry, le besoin de 5 millions d’habitants à l’horizon 2040.
In Emergence Mag N°21 / Juillet 2023