La corruption constitue à travers le monde, un phénomène social d’une incommensurable gravité qui dérègle profondément le mécanisme normatif des Etats ainsi que le fonctionnement des organes et des services (public et privé). Les populations les plus pauvres sont les premières touchées par ses conséquences. Selon une étude de la Banque mondiale, le montant des pots-de-vin versés chaque année s’élèverait à 1000 milliards de dollars, ce qui représente 9% du commerce mondial.
Pour lutter contre ce fléau, plusieurs structures et mécanismes à travers le monde ont été initiés après la première publication en 1995 de l’Indice de Perception de la Corruption (IPC) de Transparency International. Nous pouvons cités la Banque mondiale et l’ONG Transparency International qui ont développé la notion de Système national d’intégrité (Sni) afin de fournir un cadre théorique général pour penser les stratégies de lutte contre la corruption, le sommet du G7 à Paris qui a créé le GAFI ayant enjoint des recommandations visant le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Mais ces recommandations sont aussi des outils puissants pour lutter contre la corruption. Enfin les conventions signées par les différents Etats, afin de combattre ce mal.
La corruption demeure une variable qui ne peut être mesurée avec précision. Malgré cette difficulté, des indices et des indicateurs sont apparus pour sensibiliser les décideurs et le grand public sur l’état de ce fléau dans le monde. Au nombre des indices et indicateurs, nous citerons :
- l’Indice de perception de la corruption (Transparency International) ;
- les Indicateurs mondiaux de la gouvernance (Banque mondiale) ;
- de nouvelles générations d’indices tels qu’Afrobaromètre, le Baromètre mondial de la corruption (Transparency International) ;
- l’Indice global d’intégrité ;
- et l’Indice Mo Ibrahim de la gouvernance africaine.
En Guinée, il existe une certaine littérature en matière de lutte contre la corruption. Pour professionnaliser la lutte contre la corruption, une première Enquête Nationale sur la Corruption et la Gouvernance en Guinée a été organisée en 2003 par le gouvernement sous la direction de l’Agence National de Lutte Contre la Corruption et de Moralisation des Activités Economiques et Financières (ANLC), réalisée par une ONG nationale dénommé Stat View International (SVI) sur financement de la Banque Mondiale.
Cette Enquête Nationale sur la Corruption et la Gouvernance en Guinée (ENACOG/2003) a permis de fourni des renseignements sur le degré d’extension de la corruption en Guinée. Son objectif était d’analyser la mauvaise gouvernance et son impact, mais aussi, de déterminer l’ampleur de la corruption et son coût sur le revenu des ménages et du pays. Elle a permis aussi de produire une banque de données sur la qualité de la gouvernance et des institutions. Elle a enfin permis de suivre de manière continue, la progression et l’application des mesures de lutte contre la corruption, ainsi que l’amélioration de la gouvernance.
L’Enquête Nationale sur la Corruption en Guinée (ENACOG/2003) a abouti à des conclusions dont certaines sont toujours d’actualité, telles que l’absence d’indépendance des organes de contrôle notamment l’Agence Nationale de lutte contre la Corruption, la pression et l’interférence du politique dans la gestion et le fonctionnement de l’administration publique et de la justice, la politisation et la personnalisation des postes de responsabilité à la fonction publique.
Il a fallu attendre 2013 pour avoir une étude sur la corruption en Guinée. En effet, Open Society Initiative for West Africa (OSIWA-Guinée) et Africa governance Monitoring and Advocacy Project (AFRIMAP) ont présenté, aux autorités guinéennes les conclusions d’une étude qu’ils ont réalisée. Cette étude a permis d’identifier les causes réelles de l’inefficacité des organes anti-corruption en Guinée. Elle ne s’est pas préoccupée de faire l’état des lieux de la corruption en Guinée ni d’en évaluer l’ampleur, mais s’est consacrée expressément à un inventaire des mécanismes de lutte contre la corruption existant.
En 2012, une autre enquête sur l’Indice National de Perception sur la Corruption et la Gouvernance en Guinée (INPCG) a été réalisée par l’Agence National de lutte contre la Corruption (ANLC) sur financement d’Open Society Initiative for West Africa (OSIWA-Guinée).
Cette activité qui est biannuelle a été réitérer en 2015 par l’Agence National de lutte contre la Corruption (ANLC) en collaboration avec l’Institut National de la Statistique de Guinée (INS) sur financement d’Open Society Initiative for West Africa (OSIWA-Guinée). Les résultats de cette enquête 2015, indiquent clairement que le phénomène de corruption a atteint des proportions effroyables et inquiétantes. Environ 97% des guinéens interrogés estiment qu’il existe effectivement de la corruption en Guinée. 71,3% estiment que le phénomène de corruption est en nette progression dans le pays.
L’enquête indique qu’en Guinée tous les secteurs (public et privé) sont touchés par ce phénomène, avec tous les types et formes de corruption. En effet 95,8 % des guinéens estiment que les autorités désignent aux postes de travail un proche qui, parfois n’a pas les qualifications requises. 93,5 % des personnes affirment que l’abus d’autorité ainsi que le trafic d’influence interviennent dans les prises de décisions. Aussi pour faire sauter une contravention, 89 % des enquêtés affirment avoir payé un pot-de-vin et 80 % avoir fait un versement non officiel pour obtenir des confidences ou des informations.
En matière de prélèvement fiscal, 80,3 % des contribuables reconnaissent avoir négocié des exonérations illégales ou avoir versé un pot de vin pour ne pas payer des impôts et taxes. 88,8% de nos compatriotes admettent avoir offert une faveur ou effectué un paiement d’une somme supplémentaire pour accélérer une démarche. La corruption se pratique sous plusieurs formes, et 56% de la population estiment que la plus courante est l’usage de l’argent liquide.
L’analyse des pourcentages exprimés par le rapport l’INPCG 2015, fait remarquer que tous les scores sont de loin supérieurs à 50%. Cet état de fait doit interpeller les responsables administratifs et politiques guinéens car, tel un cancer, les métastases de ce mal sont entrain de gangréné et de ronger le grand corps social Guinéen qui en est victime.
Pour pallier ce mal, les mesures urgentes qui s’imposent pour prévenir, détecter et réprimer ce fléau sont :
- poursuivre les réformes institutionnelles de l’Agence National de lutte contre la Corruption (ANLC), car après la promulgation de la loi L/2017/041/AN du 04 juillet 2017 portant prévention, détection et répression de la corruption et des pratiques assimilées, il serait important de prendre les décrets d’application y afférents, tout en dotant l’Agence d’une indépendance qui puisse renforcer son autonomie d’action et lui permettre d’instruire les allégations de corruption et de poursuivre les auteurs directement devant la justice.
- Ensuite de procéder à une profonde réforme du système judiciaire, qui doit être indépendant et doté de moyens techniques nécessaires pour démêler les affaires de corruption dans le labyrinthe des sociétés « prête-noms » et d’opérations financières complexes sous lesquelles se cachent souvent les corrupteurs et les corrompus.
Ibrahima Mouhidine DIANE – Doctorant
Juriste – publiciste
Enseignant chercheur à l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia (UGLCS)
Conakry le 11 juin 2019